A propos des Sources
Les documents ou archives dont nous disposons pour parler de la Révolution à Précy sont à apprécier différemment selon qu’il s’agisse des Registres des délibérations communales, des registres et chroniques paroissiales ou d’archives départementales.
Les registres municipaux étaient avant tout destinés aux Commissaires du district qui venaient vérifier sur place si les ordres reçus du Pouvoir étaient bien exécutés. On sait combien celui du district de Senlis était pointilleux et même draconien. Il s’en suit donc un décalage entre la relation des faits et les faits eux-mêmes. Il s’agissait surtout de ne pas être suspecté, de ne pas adhérer aux idées nouvelles. A Précy où l’enthousiasme révolutionnaire était loin d’être délirant, ces Registres des délibérations communales sont donc avant tout des points de repères des applications plus ou moins strictes des décrets ou arrêtés de l’Assemblée Nationale.
Les archives paroissiales, en particulier les Chroniques de Decaux et de Battelier, ont été rédigés au lendemain de la révolution. Ils ont une coloration religieuse et bénéficient d’un certain recul. Les faits et gestes rapportés ne se sont pas produits dans l’ordre décrit ou recensés selon une chronologie exacte. Les uns ont eu lieu plus tôt, d’autres plus tard et inversement. Ce qui en fait est étalé dans le temps est ici ramassé en un court moment, dense d’événements. Ceci a pour effet une certaine dramatisation. Ils sont rédigés dans un double élan à la fois d’indignation et d’admiration, à la manière d’une épopée ou d’une Chanson de geste, comme la Chanson de Roland ou l’Histoire de Joseph dans la Bible. La tradition orale y joue son rôle de complémentarité et sans doute aussi d’exagération. C’est tellement évident par moment qu’au lieu de nuire à l’historicité elle la met davantage en relief.
C’est ainsi qu’on mettra la descente des cloches au même jour que l’arrestation du curé et du vandalisme à l’Eglise, alors que les arrêtés communaux concernant ces faits sont datés l’un du 30 septembre 1793 et l’autre du 14 octobre 1793. L’arrestation du curé par contre s’est faite de nuit et la vente du presbytère est bien plus tardive.
Les exemples du même genre ne manquent pas. Ces documents sont d’autant plus intéressants qu’ils nous décrivent d’une manière vivante et continue, des événements rapportés ailleurs sans lien entre eux et morcelés à l’extrême.
Ces archives sont donc complémentaires et nous permettent de nous faire une idée plus exacte de ce qui s’est déroulé à Précy pendant la Révolution.
Les Registres des Délibérations du Conseil Municipal de Précy (1790-1793) doivent leur réhabilitation à Madame Gérardot, maire adjoint.
Tout le monde n’est pas sensible et attentif à la conservation et au respect dus à ces témoignages de notre passé. C’est ainsi que bon nombre de pièces d’ archives communales de Précy se sont « égarées ».
Il n’en fut pas de même pour les archives paroissiales. Les différents curés qui se sont succédé à Précy ont tous, à part quelques-uns, veillé à la conservation des archives paroissiales. Le regretté Abbé Finot commença un premier classement avec l’aide de maître Pierre Gambier à qui nous devons le livre « Précy en Isle-de-France », publié aux Éditions Farnèse à Paris en 1953.
Ce dernier avait projeté une histoire de Précy sous la Révolution. Il avait déjà réuni quelques notes mais sa mort mit fin à son projet. Son fils Michel Gambier a donné les notes de son père aux Archives Paroissiales, car beaucoup de documents et de pièces originales, qu’il avait consultés ou copiés, avaient disparu dans le bombardement du presbytère le 5 août 1944.
Ce que nous pouvons publier aujourd’hui est donc le fruit d’une collaboration commencée avant nous et que nos recherches personnelles ont ainsi pu mener à son terme.
L’énorme décennie 1789-1799 semble aimantée par des dates et périodes fétiches – la prise de la Bastille, la Déclaration des Droits de l’Homme – aux dépens de dates ou périodes toutes aussi importantes mais traditionnellement occultées comme la Fédération du 14 juillet 1790, la formation des départements, l’émancipation des Juifs et des Noirs des Colonies, le « génocide » de la Vendée, la mort du roi Louis XVI, les massacres de septembre 1792…, etc…
Précy fut également le théâtre des excès et du vandalisme révolutionnaires. En 1792, les seigneurs de Précy, Monseigneur Anne Léon de Montmorency et son épouse, fuyant les massacres révolutionnaires, s’étaient réfugiés en Belgique. De là, ils vendirent la Seigneurie de Précy au général François d’Avrange d’Haugeranville.
Le nouveau châtelain, considéré comme royaliste, fut arrêté en même temps qu’un bon nombre de citoyens dénoncés pour manque de patriotisme. Le président du « Comité de Surveillance, établi au bourg de Précy-sur-Oise, le 9 octobre1793, l’an deuxième de la République Française une et indivisible, en vertu de la loy du 21 mars de la mesure année » était le citoyen Franqueville, capitaine de la garde nationale, désigné à ce titre comme commandant en second de deux bataillons du canton de Creil, résidant à Précy, où il avait acquis la maison de la citoyenne Lahure.
Le 9 octobre 1793, le commissaire de Senlis vint avec des délégués du Comité de Surveillance de Chantilly établir un comité révolutionnaire à Précy. Le président était Louis Bansse, les membres : Jean, François et Simon Gautier, Louis Eugène Henneguy, Pierre de Cau, Louis de Rebergue, Pierre Félix Hain et bien d’autres encore. Ce dernier fut dénoncé et arrêté pour n’être pas loyal envers le Comité de Surveillance qui siégeait presque en permanence pour enregistrer les dénonciations les plus invraisemblables, qui étaient, bien des fois, des règlements de comptes entre adversaires ou ennemis.
Après la noblesse et les royalistes vint le tour du curé. Il avait proclamé, haut et fort, qu’il refusait de se soumettre à la Constitution civile du clergé qui demandait de dire solennellement : « Je jure haine à la royauté et à l’ anarchie, attachement et fidélité à la République et la Constitution de l’an II ».
Malgré tout cela, personne ne voulait qu’on touche à ce prêtre qui jouissait de la considération de tous les Précéens. La loi exigeait que pour sévir contre un prêtre insermenté, il fallait la dénonciation de vingt citoyens habitant la même commune. Or jusque là, aucune dénonciation ne s’était faite à l’encontre du curé. Il fut cependant arrêté, sur ordre du Comité Révolutionnaire de Précy, pour n’être « pas considéré comme chaud patriote » et d’avoir dans son prône du 20 février 1792 proclamé « avec une pointe de mépris » l’arrestation du roi Louis XVI.
Son arrestation eut lieu un matin après la messe de sept heures. Lorsque le prêtre descendait les marches de l’autel, le maire révolutionnaire, accompagné du commissaire de la section de Chantilly et de deux soldats, s’avança vers le prêtre en lui lançant : « citoyen Delaunoy, au nom de la loi je vous arrête ». Le curé, visiblement étonné, demanda pour quelle raison. Le maire Deneuilly était un homme dur et brutal, qui considérait sa rudesse démagogique pour une conviction. Il reprocha au curé son refus notoire de prêter serment de fidélité à la République. Le curé, encore revêtu de ses habits sacerdotaux, réitéra son refus de prêter serment et redit solennellement sa fidélité au Pape et à l’Eglise. Pendant qu’il parlait encore, le maire visiblement énervé, l’interrompit brusquement et ordonna aux soldats de l’arrêter et de le conduire à la prison, au château de Chantilly. Le curé demanda la faveur de changer ses habits et d’aller jusqu’au presbytère pour y prendre quelques linges et faire ses adieux à ses vieux parents. Ce qui lui fut accordé.
Pendant que le curé déposait ses vêtements sacerdotaux sur le buffet de la sacristie, le maire et le commissaire réclamaient l’argenterie qu’ils voyaient dans l’armoire restée ouverte. Le curé leur remit, contre attestation, « deux chandeliers d’argents, un encensoir avec chaînes et navettes en argent, un plateau et deux burettes en argent, une croix de procession (brisée en plusieurs morceaux), un instrument de Paix, le tout pesant 22 marcs 2 onces d’argent », qui fut remis le vendredi suivant, 30 octobre 1793, au Directoire de Senlis. L’arrêté signé sur les registres de la paroisse par Christophe Deneuilly, maire de Précy, est daté du « 8ème jour de la première décade du deuxième mois de l’an second de la République Française, une indivisible et impérissable ».
Après avoir réclamé les clefs de l’Eglise, ils la fermèrent et signifièrent au curé l’interdiction de célébrer le culte. Un soldat fut placé à la porte de l’Eglise pour veiller à ce que personne n’y vienne.
Pendant ce temps-là, le cortège se rendait au presbytère. La vieille mère du curé ouvrit la porte, jeta un cri et se mit à sangloter pendant que les révolutionnaires retournaient la maison de fond en comble, espérant y découvrir quelque document compromettant. Le curé voyant leur zèle, profita d’un instant d’inattention pour quitter la soutane et s’enfuir par les jardins. Il réussit ainsi à se cacher quelque temps chez des voisins, où il dit la messe en secret.
Furieux de s’être laisser tromper, le maire déclara le presbytère « bien national » avec ordre de le vendre aux enchères publiques. Ce fut fait le soir même. En même temps, on fermait et vendait aux enchères publiques l’Hôtel-Dieu qui avait abrité tant de pauvres, d’orphelins et de malades. Cet Hôtel-Dieu, situé rue de l’Allémont (l’actuelle rue Wateau) avait été fondé en 1664 par Madame de Vaucouleurs avec le concours de l’évêque comte de Beauvais, Monseigneur de Buzenval. Le presbytère fut acheté par Monsieur Josse pour la somme d’environ 500 F. Cette maison a été revendue par son fils en 1856 pour 12 000 F.
Après l’épisode au presbytère, le Comité repartit à l’église. Là, il donna libre cours à sa haine contre les nobles et les curés. L’église fut indignement profanée, mutilée. La croix, les statues des saints furent renversées, brisées, les boiseries sculptées mutilées à coups de hache. Ils brisèrent « le mausolée de marbre noir en forme de tombeau, recouvert d’ une table également en marbre, sur laquelle reposait un gisant représentant Louis de Précy… ».
Dans le caveau sous le dallage du chœur, on « trouva plusieurs cercueils en plomb et beaucoup d’ossements… appartenant aux seigneurs de Précy. Le corps du pieux Messire de Saint Gelais, dépouillé de son linceul fut retrouvé intact… on prit donc le corps du fondateur, on le promena par dérision dans l’église dévastée et après l’avoir fouetté, mutilé, les révolutionnaires le rejettèrent nu dans le caveau ».
Puis ils montèrent au clocher et précipitèrent trois cloches du haut du clocher dans le cimetière. Elles furent vendues à un fondeur de Senlis pour faire des canons. Le 29 octobre, on portait à Paris 1428 livres de plomb provenant des tombes des Seigneurs. Le 30 octobre, on y avait porté l’argenterie. « Le 6 décembre, on acheva de dépouiller l’église, on prit les ornements, linges, les calices, ciboires, les boîtes aux saintes huiles, l’ostensoir, le tout en argent pesant 33 marcs ». Ces différents objets furent portés à Paris par le maire Deneuilly et son Comité Révolutionnaire.
« Ils rapportèrent une quittance en date du 18 primaire de l’an II ». Après le vandalisme à l’église, ils firent un feu de joie dans le cimetière. Ils y jetèrent des bancs, boiseries, stalles etc… L’église servirait désormais de lieu de réunion pour les fêtes Républicaines : Fête de la Liberté, Fête de l’Agriculture, Fête des Jeunes, Fête des Vieillards, Fête des Epoux et surtout la fête des fêtes, celle de la Souveraineté des Peuples.
Peu de temps après, le curé fut dénoncé et surpris « à minuit ». Il fut conduit avec Monsieur Pierre Tardu, notaire, dans une charette, en prison à Chantilly, où il fut détenu pendant près de deux ans. Il devait monter à l’échafaud. Sur ces entrefaites, Robespierre tomba et sa chute fit ouvrir les prisons. Devenu libre, Monsieur Delaunoy revint à Précy, et les églises étant ouvertes, il reprit ses fonctions. Il fut logé par charité chez les habitants en attendant que sa famille lui construise un nouveau presbytère sur le terrain que les révolutionnaires avaient confisqué à l’Eglise. On retrouva le confessional qui avait servi de guérite aux soldats qui montaient la garde devant la Maison du Peuple (Comité Révolutionnaire).
Le curé se procura des vases sacrés en étain, de fer blanc ou de plomb. Une bienfaitrice, habile de ses mains, improvisa quelques pauvres ornements.
La santé fortement ébranlée par son séjour en prison, le curé mourut en 1805. Il fut enterré au pied de la grande croix du cimetière. Sur sa tombe on pouvait lire :
Louis Florent Delaunoy
Curé de Précy
décédé le 22 juillet 1805
âgé de 53 ans 4 mois et 7 jours.
Ci-gît ce bon pasteur, ce zélé Delaunoy
Apôtre de son temps il est mort pour la Foi.
Dans les jours de terreur, la prison ni l’orage
n’ont dégagé ses vœux ni glacé son courage.
Sans asile et sans pain, privé de santé.
Toujours il conserva son aimable gaîté.
Plein d’esprit divin jamais il n’eut de peine
Pour la gloire de Dieu et souffrit la disette et la gêne.
Les autels renversés et les temples détruits seuls ont pu lui causer de très cuisants soucis.
Précy verse des pleurs ! La mort, la mort altière
t’a ravi ton curé, ton soutien et ton Père.
Sur sa tombe en passant je jette cette fleur
Je l’offre à la vertu, j’en parfume ses mânes.