Cette illustre famille française fut la plus célèbre de France après la maison royale. Les Montmorency furent seigneurs de l’Ile-de-France proches des rois dès le Xème siècle et, à cette époque, descendants de Charlemagne par les femmes.
Parmi les nombreuses branches de cette famille, il y eut six connétables, douze maréchaux de France, quatre amiraux et vice-amiraux, plusieurs cardinaux et prélats et une maîtresse d’Henri IV, la belle Fosseuse. La branche qui intéresse Précy est celle de Montmorency-Bouteville et Montmorency-Luxembourg. En 1594, Louis de Montmorency, seigneur de Bouteville, Précy, Blaincourt et Bonqueval, Chevalier de l’ordre du roi, fut bailli et gouverneur de Senlis, vice-amiral de France. Il épousa le 4 octobre 1593 Charlotte, Catherine de Lusse (Luxe) née de Charles, comte de Lusse en Basse Navarre et de Claude de Saint-Gelais, fille de Louis de Saint-Gelais. Ce dernier était un fils bâtard du roi François Ier, avec Jacquette de Lansac. Louis de Saint-Gelais de Lusignan était seigneur de Lansac, Précy, Blaincourt et Bonqueval. Il mourut au château de Précy peu de temps après l’assassinat de Henri III, le 5 octobre 1589, et fut inhumé dans le caveau familial en l’église de Précy. Sa veuve lui survécut jusqu’en 1594 et légua tous ses biens à la petite-belle-fille, Charlotte de Lusse qui venait de se marier avec Louis de Montmorency. C’est ainsi que la seigneurie de Précy passa à la maison des Montmorency.
De ce mariage naquirent cinq enfants, trois garçons, puis deux filles. A sa mort, en 1615, son fils aîné Henri devait succéder à son frère Louis. Il était bailli et gouverneur de Senlis en 1614 et mourut l’année suivante sans laisser de descendance. Son frère, François de Montmorency, comte de Bouteville, devint alors à son tour en 1616 bailli et gouverneur de Senlis. En 1617, alors qu’il avait 17 ans, il épousa Elisabeth-Angélique de Vienne qui avait dix ans. Elle était la fille de Jean de Vienne, président de la Chambre des Comptes de Paris.
François de Bouteville habitait le quartier de Saint-Eustache dans une dépendance de l’Abbaye de Royaumont, mais fit de nombreux séjours dans son château de Précy en Isle-de-France. Il était célèbre pour sa fougue et son esprit vif et querelleur. Il était pris de folie pour le duel et avait la riposte rapide, tant avec la dague qu’avec l’épée. A vingt quatre ans, il avait déjà dix neuf duels à son actif. L’année de ses vingt cinq ans, il tua quatorze gentilshommes en duel. Or, le duel était interdit en vertu des édits royaux de Louis XIII. Toutes ses audacieuses infractions à la loi restèrent longtemps impunies. Le comte de Bouteville savait qu’il avait de solides protections. Un jour, cependant, le roi ordonna de sévir. Averti, Bouteville rassembla deux cents amis, tous armés jusqu’aux dents, et quitta Paris en plein jour pour se réfugier aux Pays-Bas où il prit du service dans l’armée du Prince Maurice de Nassau. Le parlement le déclara « déchu des privilèges de noblesse, ignoble, roturier et infâme » et le condamna par contumace « à être pendu et étranglé à une potence croisée en place de Grève, son corps porté à Montfaucon, ses maisons démolies et rasées, les arbres de ses propriétés coupés par le milieu ».
Tout cela resta sans effet. L’année suivante, le siège de Bréda étant terminé, Bouteville revint à Paris. On ferma les yeux sur ses crimes. A peine de retour, voilà qu’une querelle éclata entre lui et le comte de Torigny. Bouteville reçut de Torigny un coup d’épée en pleine poitrine mais riposta aussitôt et tua son ennemi. Puis il s’empressa de se retirer quelque temps dans son château de Précy, le temps de faire oublier l’événement. Peu de temps après, eut lieu un autre duel contre un certain La Frète qui l’avait provoqué. L’écuyer de Bouteville y fut tué sur place. De nouveau, il se retira à Précy. Le roi ordonna le maréchal Bassompierre d’arrêter Bouteville et de l’amener sous bonne garde à Paris. Trois compagnies de suisses partirent en pleine nuit vers Précy. Bassompierre investit le château et trouva la place vide. L’oiseau s’était échappé pour se réfugier à Bruxelles où une des filles d’honneur de l’infante Archiduchesse était une Montmorency. Il fut agréablement accueilli jusqu’au jour où l’Archiduchesse, avertie par son neveu, le roi de France, ordonna de l’arrêter, lui et son ami. Elle exigea de Bouteville de promettre de ne jamais se battre sur ses terres. La chose fut entendue et une réconciliation solennelle fut organisée par l’Archiduchesse. Les ennemis s’embrassèrent et firent serment de ne plus parler de l’affaire et de ne plus se provoquer. C’était mal connaître l’orgueil de Bouteville. La séance de réconciliation à peine terminée, il donna libre cours à son irrésistible désir de relever l’insulte. Il quitta les Pays-Bas et gagna la Cour du duc de Lorraine à Nancy.
De là, il provoqua son ennemi. Bouteville et Bussy réglèrent leurs comptes par un duel à Paris. Après cela, il s’enfuit à Vitry-le-Brulé. Le roi lança le Grand Prévôt de France à Précy pour l’arrêter, mais on eut beau fouiller le château et les environs, Bouteville était parti. Averti par la mère de Bussy, qui était mort au cours du duel, Bouteville fut surpris dans son sommeil et conduit en prison.
Gaston d’Orléans, le frère du roi, très lié à François de Bouteville, prit sa défense. Les amis et les parents de la maison de Montmorency en firent autant. Le 3 juin, au moment où le roi sortait de la messe, la Comtesse de Bouteville se jeta à ses pieds et le supplia d’épargner le sang de son époux. Louis XIII passa sans tourner le visage. D’autres tentatives de la part du Prince de Condé, du duc de Montmorency, des ducs d’Angoulême et de Ventadour ne changèrent rien à la décision du roi. Richelieu déclara que l’intérêt de l’Etat exigeait un exemple éclatant. Bouteville envoya une lettre au roi pour exprimer son repentir. La comtesse de Bouteville, enceinte de trois mois, fit une dernière démarche. Au rendez-vous, accablée de douleur elle tomba sur le plancher devant Louis XIII. Il sembla ému et déclara : « Leur perte m’est aussi sensible qu’à vous, mais ma conscience me défend de pardonner ».
Le 21 juin 1627, Bouteville gravit les marches de l’échafaud en place de Grève. Sa mort ne changea pas les moeurs. Au contraire, après un court répit, les duels redoublèrent en nombre.
Les archives paroissiales de Précy attestent que son cœur a été enfermé dans un cœur de plomb portant l’inscription « le coeur de Monsieur le Comte de Bouteville » Il a été déposé dans le caveau de l’église où sa veuve venait souvent se recueillir.
Moins de sept mois après la mort de Bouteville, naquit son fils qu’on nomma « François » comme son père. Les registres paroissiaux précisent qu’il est « né le 8 janvier 1628 au château de Précy et a été baptisé le 21 janvier suivant en l’église collégiale de Saint-Pierre et Saint Paul de Précy... ». Son état chétif et maladif fut la cause du baptême tardif, car à l’époque, on baptisait habituellement le jour même de la naissance. François et ses deux soeurs furent élevés au château de Précy.
Le chef de la maison ducale des Montmorency, maréchal et amiral de France, ayant suivi dans sa révolte Gaston d’Orléans, frère du roi, fut arrêté et condamné à mort le 30 octobre 1632. Par testament, il avait légué une large part de sa fortune et de ses seigneuries à François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, mais la sentence capitale entraînant la suppression du testament et la confiscation des biens au profit de la couronne de France, le parlement anéantit ce legs.
Louis XIII, pris de compassion, refusa d’user de cette prérogative et restitua la succession aux soeurs du condamné. Le lot le plus considérable échut à Charlotte de Montmorency, princesse de Condé. L’amitié de cette princesse avec Madame de Bouteville fit en sorte que l’indignation des Condé se transforma en prodigalités envers la jeune veuve.
François avait un physique disgracieux, un corps malingre « qu’achevait, dit Saint Simon, de déposer une bosse, médiocre par devant, mais très grosse et pointue par derrière avec tout le reste de l’accompagnement ordinaire des bossus ». La beauté légendaire des Montmorency lui avait échappé, mais de toute sa difformité se dégageait une indéniable séduction. « Son visage respirait la grâce et ses manières raffinées l’ornaient de charme et de galanterie ».
C’est sous l’aile de la princesse de Condé, entouré d’une société incomparable de beaux esprits et de grands du royaume, que s’écoula la plus grande partie de la jeunesse de François. Le château de Chantilly n’avait pour lui aucun secret.
A sept ans, Madame de Bouteville conduisit son fils à la Cour pour le présenter au roi. Le prince de Condé, autrefois très ami avec son père, déclara qu’il « se ferait un plaisir d’élever ce dernier rejeton d’une famille qui lui avait été si chère ». Le roi consentit et Condé l’emmena chez lui, le fit instruire et élever avec tous les soins imaginables, lui faisant particulièrement enseigner l’art de monter à cheval et de manier les armes.
A dix sept ans, le jeune Bouteville tomba amoureux de la marquise de Gouville. « L’incarnat vermeil de son teint, l’éclat de ses yeux noirs, les longues boucles soyeuses de ses cheveux d’ébène excitaient l’admiration de tous ceux qui la voyaient ».
L’éclat de l’esprit de Bouteville et ses manières pleines de grâce firent oublier les torts de son physique. Il lui fit une cour discrète mais assidue. La marquise le rechercha de plus en plus « pour ses flatteries et ses compliments ». Qu’on le surnomme « le bossu » ne la gênait nullement. « L’Amour rend aveugle » et les amoureux s’échappaient souvent au château de Précy où ils s’abandonnaient l’un à l’autre « à s’éterniser en baisers brûlants ».
Le château de Précy, à l’abandon depuis le départ de la mère de Bouteville s’élevait dans un écran de verdure. « Son parc qui le séparait du village était renommé pour l’âge et la magnificence des différentes espèces d’arbres. Une roseraie aux innombrables fleurs multicolores et odoriférantes faisait l’admiration des invités ». L’air y était pur et tempéré, la rivière et les bois y entretenaient au plus fort de l’été une sorte de fraîcheur. Tout alentour s’étendaient des plaines fertiles, champs de blé ou vertes prairies semées de bouquets d’arbres centenaires qui se reliaient de proche en proche, aux masses épaisses et sombres de la forêt de Chantilly. « Bouteville et sa marquise s’étendaient tout le jour au bord de l’eau claire et profonde de l’Oise, qui coulait avec une douceur endormie au pied d’un rempart de collines servant d’abri contre de vent du nord ».
Ils vivaient une passion violente et grandissante jusqu’au moment où Bouteville se ravisa et modéra les chevauchées qu’il faisait avec sa belle dans les sous-bois. Ils s’éloignèrent de moins en moins de Paris et bientôt Précy n’était plus qu’un souvenir. Le caprice se transforma en amitié raisonnable. Condé retira François de la société mondaine et l’emmena avec lui comme aide de camp dans ses campagnes guerrières. C’est ainsi qu’il séjourna pendant six ans à la Cour des Condés à Bruxelles qui était le rendez-vous des princes déchus et l’asile des proscrits. Les enfants exilés de Charles ler d’Angleterre y vivaient, ainsi que Charles IV, duc de Lorraine, alors en guerre avec la France. Quelques années plus tard, Condé arrangea un bon mariage à son protégé sans emploi ni fortune. Il se trouvait que le duché-pairie de Luxembourg, légalement transmissible aux femmes, avait pour seule héritière Marie-Louise de Brantes. Cette dernière avait pris le voile et ne pouvait avoir accès à l’héritage qui restait inutilement en souffrance. Condé obtint une dispense du Pape. Marie Louise de Brantes fut relevée de ses vœux perpétuels, devint dame du palais de la reine avec le titre et rang de princesse. On la nomma chanoinesse du chapitre de Poussay pour éviter toute tentation de mariage. En échange, elle renonça à tous ses droits d’héritage en faveur de sa cadette Madeleine Charlotte qui devint l’épouse de François de Bouteville.
Au lendemain du mariage, le 17 mars 1661, des lettres patentes du roi précisaient qu’il accordait à monsieur François de Montmorency, comte de Bouteville, seigneur de Précy, Blaincourt et Bonqueval, le transfert de nom, titre et armoiries de Luxembourg. Le nouveau duc de Luxembourg, pair de France, fut reçu au parlement et prêta serment le 22 mai 1662 en présence de Condé et de son fils, le duc d’Enghien. Cette séance fut la première et la dernière, car le nouveau duc était en désaccord avec ses pairs sur la préséance à laquelle il prétendait avoir droit . Non content de l’honneur de la duché-pairie, il voulait, du dix huitième rang que lui attribuait l’ancienneté, se porter d’emblée au second, immédiatement après le duc d’Uzès, dont la priorité ne pouvait faire de doute. François de Luxembourg s’appuyait sur les lettres du roi qui n’avaient pas fait en sa faveur une « érection nouvelle » mais le substituaient simplement au lieu et place de ses prédécesseurs dont la pairie datait de 1581. Ce procès de préséance, appelé « l’affaire des tabourets » devait sommeiller pendant 32 ans.
Comblé d’honneurs, Luxembourg vit habituellement dans son splendide domaine de Ligny en Lorraine, où il mène un train de vie quasi royal, entouré de son épouse et de ses quatre fils, sur qui pleuvent les bienfaits du roi.
L’été, il fait des séjours prolongés à Précy pour jouir des bienfaits de la campagne et des réceptions au château de Chantilly. A Paris, il a une résidence dans le vaste et luxueux hôtel qu’il possède rue Saint Honoré. C’est là qu’il traite des affaires avec les grands et les belles de ce monde, car malgré tous ses efforts, Luxembourg n’avait pas réussi à se faire admettre à la Cour de Versailles. La cour l’admire tout en le craignant. Sa célébrité d’homme de guerre et de génie qu’on lui reconnaît n’a pu lui valoir ni l’estime ni la sympathie de ses contemporains. Les cruautés exercées autrefois aux Pays Bas et la malédiction des peuples ravagés attachaient, même en France, une sanglante légende à son nom.
Rien d’étonnant, de ce fait, à ce que le duc de Luxembourg ait suscité la méfiance et la suspicion dans « l’affaire des poisons ».
Une épidémie de décès suspects amena dès 1679 le lieutenant de Police La Reynie à placer des mouches – autrement dit des indicateurs – dans divers quartiers de Paris. On finit par arrêter la marquise de Brinvilliers, qui avoua tout sous la torture. Comme il s’agissait d’un complot contre le roi, la marquise fut exécutée. Trouver les complices était plus difficile. Paris comptait à peu près quatre cents « devineresses » qui faisaient commerce d’onguents, poudres, philtres et herbes sophistiquées. Elles procédaient à des avortements, des messes noires, prédisaient l’avenir, donnaient des philtres d’amour, des talismans, et des secrets pour se débarrasser d’amants compromettants etc… Paris vivait sous la crainte et l’effroi. Tout le monde soupçonnait tout le monde. On voyait partout des magiciens, des empoisonneurs, et des suppôts de Satan.
C’est dans ce contexte qu’on découvrit que le duc de Luxembourg fréquentait les milieux louches où voyantes et magiciens exerçaient leurs talents et permettaient même de parler au Diable.
La rencontre fatale eut lieu le 31 janvier 1676. Luxembourg s’était rendu chez Madame du Fortet pour rencontrer un personnage qui prétendait dire la bonne aventure et beaucoup d’autres choses. Le magicien demanda à Luxembourg de consigner sur papier toutes les demandes et questions qu’il voulait. Au procès, Luxembourg affirme dans son récit que « le billet n’avait trait qu’à des affaires de femmes ». Les témoignages devaient confirmer qu’il s’agissait de « sottises » concernant l’amour et rien d’autre, et que le magicien était « un fripon qui ne sait rien ». Luxembourg est en campagne lorsque le magicien Lesage est arrêté avec La Voisin. On les avait épiés depuis de longues semaines.
La Voisin avouera avoir brûlé dans son four ou enterré sous son parterre plus de deux mille nouveau-nés. L’interrogatoire, les perquisitions se succèdent et aboutissent à des découvertes d’empoisonnement et de forfaits en tous genres. La répression va grand train. La Vigoureux, grande criminelle, élève de La Voisin est mise à la question et meurt au milieu d’horribles souffrances. Son acolyte, la femme Bosse, est brûlée vive en place de Grève. Aucune des sorcières n’a accusé Luxembourg. L’énigme demeure. Brusquement, Lesage et Lavoisier changent de tactique et accusent le duc de Luxembourg. Ils espéraient ainsi sauver leur peau. Le ministre Louvois fut ravi de cette accusation. Espérant pouvoir perdre son ennemi, il demande à Lesage d’accabler Luxembourg en contrepartie de sa liberté. Lesage, enfermé à Vincennes, se prête volontiers aux accusations suggérées par Louvois.
Puis les commissaires, fouillant chez lui, tombent sur le billet signé du nom du maréchal de Luxembourg, mais que Lesage avait habilement falsifié et déposé de manière à le trouver facilement. Le billet porte en effet ni plus ni moins, que Luxembourg se donne au diable.
Luxembourg sollicite la permission de s’expliquer avec le roi. La Cour était alors à Saint-Germain. Le roi le reçoit avec bienveillance et lui communique les charges portées contre lui. Le maréchal affirme que rien n’est fondé dans ces accusations, et qu’il est victime d’une machination.
Un jour, sans trop savoir pourquoi, – si ce n’est sans doute à cause des scrupules religieux du roi – le duc retrouve les grâces du Roi. Il reçoit le gouvernement de la Champagne et le Collier de l’Ordre du Saint Esprit (1688). Du coup, Madame de Maintenon lui témoigne à nouveau son amitié. Peu de temps après, Louis XIV le nomme à la tête de l’armée des Flandres. Pendant la campagne dans les Flandres, Luxembourg s’installa à Deynze sur la Lys, à quelques lieues de Gand, où se trouvaient les Espagnols. Lorsque les cavaliers français débouchèrent devant les murs de Deynze, la kermesse battait son plein et le peuple était en liesse. « Les habitants furent tout surpris de voir les gens qui marquaient leur maison avec de la craie et demandèrent ce que cela voulait dire. On leur répondit que ce n’était rien, qu’ils pouvaient toujours se divertir et qu’il allait venir, pour être à la fête, cinquante mille hommes avec soixante pièces de canon ».
Les soldats du maréchal ont laissé un triste souvenir à Deynze. Les vols, le pillage et les incendies se sont multipliés au cours de la Campagne. Les déprédations opérées dans les églises et les monastères ainsi que les violences exercées sur les habitants, provoquèrent l’indignation du maréchal qui exigea réparation et restitution. De Deynze, il se dirigea avec ses troupes sur Gand et campa au château de Zwijnaerde aux portes de Gand. Il avait réquisitionné cette résidence d’été des évêques de Gand pour s’installer avec son état major et y préparer l’attaque de l’ennemi. Durant cette Campagne, le duc de Luxembourg connut le succès et la victoire. La « Journée de Fleurus » est une des plus belles de sa vie. C’est là que son génie et son instinct de puissant stratège guerrier éclata aux yeux de tous. Louis XIV lui confia alors l’éducation militaire et guerrière des deux jeunes princes de son sang, le bien-aimé duc du Maine et son neveu le duc de Chartres, Philippe d’Orléans, futur régent de France en 1715, qui n’était encore qu’un enfant.
En 1693, deux ans avant sa mort, on relança le procès de Préséance. Le procès était ridicule et haineux. La soif d’honneur et de pouvoir des uns et des autres s’étalait au grand jour devant les juges et devant le peuple. Après d’interminables péripéties, le duc fit intervenir le roi qui lui avait à maintes reprises témoigné sa satisfaction pour les victoires et les services que le maréchal avait donnés à la France. Aussi le combat juridique finit de procédure en procédé. La Campagne des Flandres donnant raison au maréchal, « l’affaire des tabourets » se termina en queue de poisson.
Le retour glorieux des Flandres est marqué par le souci de l’établissement de ses cinq enfants. On aurait dit que l’homme sentait venir sa fin, alors qu’il était en parfaite santé.
Son fils aîné, le duc de Montmorency, veuf de la fille du duc de Chevreuse est riche à millions. Son deuxième fils, Thibaud de Luxembourg a été pourvu de l’abbaye d’Ourscamp et de la grande maîtrise de l’Ordre du Saint-Esprit de Montpellier. Le dernier de ses enfants, le chevalier de Luxembourg, le seul qui a, dit-on, hérité à la fois la bosse et l’esprit de son père, n’est pas encore en âge pour qu’on s’occupe d’une manière pressante de son avenir.
Le comte de Luxe, Christian Louis de Montmorency de Luxembourg, a reçu une grave blessure pendant le combat à Neerwinden, ce qui lui donne l’espoir d’une belle carrière. La sœur du maréchal aimait ce neveu et fit en sorte qu’avec quarante mille livres de rente et un titre ducal, il puisse se marier avec Marie-Anne de la Trémoille.
Sa fille Angélique Cunégonde, maigrement dotée est laide et pas assez jeune, pour être à marier. Il réussit cependant à la marier à Louis de Soissons, comte de Dunois, prince de Neufchâtel, au prix de quelques sacrifices…
Peu de temps après ces arrangements et mariages, le maréchal, qui était à Versailles dans son appartement, fut pris de frissons et de fièvre. Son médecin diagnostique une inflammation du poumon. Le roi lui envoie son médecin personnel, qui confirme qu’il s’agit bien d’une « pluripulmonie avec abcès dans la poitrine » (pleurésie purulente). Il pratique une saignée, puis quatre autres les jours suivants. Le maréchal réclame alors le Père Bourdaloue qui, après une confession générale, lui donna les derniers sacrements. Sur ce, le maréchal dicte son testament à François Manille et Mathurin Lamie, « gardes notes du roi à Versailles ». Les dispositions testamentaires terminées, il signe l’acte d’une main assurée.
Vers la tombée du jour, il tombe en agonie. Entouré de sa vieille maman la comtesse de Bouville qui a quatre-vingt sept ans, de tous ses enfants, de sa sœur Madame de Mecklembourg, du cardinal de Bouillon et du Père Bourdaloue, il expire à sept heures du matin le 4 janvier 1695 à huit jours de ses soixante-sept ans. Son corps fut porté à Ligny en Barrois et son service funèbre fait chez les Jésuites de la rue Saint-Antoine à Paris. Marc Antoine Charpentier a composé la musique qui précéda l’oraison funèbre prononcée parle Père de La Rue. Le même jour, on célébra un Requiem solennel en l’église de Précy qui était tendue de draps de velours noir, chargés des armoiries du maréchal entrelacées de bâtons de maréchal de France et d’alérions dorés. Une litre aux armoiries du maréchal fut peinte au dessus des colonnes de la nef centrale. On en voit encore les traces aujourd’hui. Le dernier Montmorency, duc de Beaumont, prince de Montmorency-Luxembourg, mourut en 1878. Sa fille la vicomtesse de Durfort Civrac, morte en 1921, fut la dernière des Montmorency.
Il ne subsiste aujourd’hui que deux des trophées qui valurent à Luxembourg le surnom de « Tapissier de Notre Dame », faisant allusion à l’usage sous l’ancien régime d’accrocher les drapeaux pris à l’ennemi aux voûtes de Notre Dame de Paris. L’un est le drapeau pris à la bataille de Rocroy. On peut l’admirer au château de Chantilly. L’autre fut trouvé par Viollet Le Duc dans les combles de Notre Dame lors de sa restauration au XIXème siècle. Il le baptisa « drapeau de Charles le téméraire » et l’envoya sous ce nom au musée de Cluny où il se trouve encore. Il s’agit en fait d’un drapeau flamand du XVIIème siècle, provenant de la bataille de Neerwinden, Steenkerke ou Fleurus. Les trophées qui ont disparu sont représentés dans le « Recueil des triomphes de Louis XIV », au cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France.
Faut-il, en conclusion, parler de la prétendue « avenue véritable de la terrible mort du maréchal duc de Luxembourg, qui jusqu’à présent cachée sous un masque d’Etat, est révélée par son valet de chambre » quelque temps après les funérailles de son maître, publiée en Allemagne en 1702 et que l’on peut consulter à la Bibliothèque Nationale de France ?
Il semble bien que ce soit un pur produit de l’imagination populaire qui ne mérite pas qu’on s’y attarde, si ce n’est par pure curiosité, pour comprendre le mépris du peuple à l’égard d’un grand de ce monde.
SOURCES
- Archives paroissiales de Précy
- Desormeaux M. : Histoire de la maison de Montmorency, Duchesne 1794
- Gambier Pierre : Précy en Isle de France, Edition Farnèse, Paris 1953
- Pigaillem H. : Le Tapissier de Notre Dame, Edition le Rocher, Monaco 2002
- Pujo Bernard : Le Grand Condé, Albin Michel 1995
- Richemont P. : Le maréchal de Luxembourg au lit de la mort, Cologne
- Ségur (Pierre de) : La jeunesse du maréchal de Luxembourg, Calmann-Levy 1900