LE MAUSOLÉE DE PRECY

Gisants à Saint-Denis


Nous n’avons pas l’intention de décrire un chef-d’œuvre funéraire comme les tombeaux royaux de Saint-Denis avec leurs magnifiques gisants des Xlllème et XlVème siècles.
Il ne s’agit pas même pas d’évoquer un simple monument funéraire comme celui du Chevalier Jean de Savigny en l’église de Savignies (Oise), ou en bien d’autres petites églises de France qui abritent encore d’humbles merveilles peu connues. Nous voulons simplement faire surgir des archives un mausolée qui donnait une signification à Précy.
Un manuscrit de Godefroy Hermant, recteur de la Sorbonne au XVIIème siècle, parle d’une « tombe de marbre noir élevée de terre au milieu du chœur » de l’église de Précy (1).
Les chroniques de l’Abbé Decaux (1840) relatent deux lettres. La première signée par le Roi Philippe VI dit de Valois (1328), la seconde, signée par le Pape Jean XXII résidant à Avignon, en la quatorzième année de son Pontificat (1330).
Les deux lettres, rédigées en latin, sont adressées à Philippe de Précy. Celle du roi l’autorise à « fonder une chapelle au nom de Madame » (la sainte Vierge). Celle du pape « empreinte d’une grande bienveillance pour le pieux Fondateur » accorde la même autorisation.

Eglise de Savignies

En 1570, « Louis de Saint Gelais de Lusignan, Seigneur de Précy a fait reconstruire la nef de l’ église incendiée par les Anglais lors de la guerre de Cent Ans ». Il se réserva « le droit de chapelle de sépulture et de caveau… en l’Église de Saint-Pierre de Précy, icelle construite par le Père de Messire Louis de Précy… Ce dernier était son fils, mort subitement à l’âge de trente deux ans, dit-on. Le Père et le fils furent tous deux déposés les premiers dans le caveau. Au-dessus s’élevait un monument de marbre noir en forme de tombeau, recouvert d’une table en marbre blanc avec une inscription que nous n’avons pu retrouver » (abbé Decaux).
En 1793, la Révolution ouvrit le caveau. On y trouva plusieurs cercueils en plomb et une quantité d’ossements. Le corps du Fondateur, Messire de Saint Gelais fut dépouillé de son linceul et trouvé intact.

François de Bouteville

On le sortit du caveau, on le promena par dérision dans l’église et après l’avoir fouetté et mutilé on le rejeta dans le caveau… En 1828, Messire Robert, curé du lieu le fit ouvrir. Il en fit retirer tous les ossements sans distinction et les fit déposer dans le cimetière. « En 1856, nous l’avons visité nous-même et nous n’y avons trouvé que deux petits vases en plomb sur l’ un est écrit : ‘le cœur de Monsieur de Bouteville’. C’est de Bouteville François qui fut décapité en Place de Grève pour duel en 1627. Sur le second vase on lit : ‘Ceci est le cœur de feu Madame la comtesse de Bouteville 1698’. Ce dernier vase a été ouvert et vidé. Il ne contient qu’un peu d’eau rouge ». (2)
Le Mausolée fut enlevé et vendu à un marbrier de Senlis. L’argent provenant de cette vente fut employé à restaurer le porche de l’église, œuvre ignoble.
Les chroniques signalent un curieux détail à propos de l’église : « Elle est enterrée, pour y entrer il faut descendre six marches… le cimetière qui l’entoure a été rehaussé, dit-on, par la terre reti¬rée des fossés du château dont elle était voisine ».
Il est donc question :
1°) d’un tombeau en marbre noir.
2°) d’un caveau où fut déposé Philippe de Précy fondateur de l’église.
3°) Au-dessus du caveau s’élevait un Monument de marbre noir en forme de tombeau, recouvert d’une table en marbre blanc. Il est également appelé Mausolée, ce qui signifie un monument funéraire somptueux.
Remarquons qu’après la Révolution le fondateur désigné n’est plus Philippe de Précy mais Louis de Saint Gelais qui avait fait construire la nef gothique de 1570 à 1582. On distingue également le droit de sépulture du droit de caveau.

Gisants à Fontevraud

Si nous prenons maintenant les chroniques Battelier qui sont plus tardives (1882) on y parle de « Philippe de Précy, principal Fondateur » et de « Louis de Saint Gelais second Fondateur ». On y lit également qu’« au-dessus du caveau s’ élevait un mausolée de marbre noir en forme de tombeau, recouvert d’une table en marbre… Ce monument fut enlevé vers 1828 aux témoignages des habitants du bourg ».
« Il y a quelques années, il ne restait plus dans ce caveau que deux petites boîtes en plomb… ces deux vases ne contenaient qu’ un peu de poussière humide ».
Remarquons au passage que « I’eau rouge » des chroniques Decaux, devient avec le temps « un peu de poussière humide » dans le récit consigné par Battelier.
A propos de Guillaume de Saint Simon de Rasse, son épouse et leurs enfants, les chroniques Battelier précisent : « Leurs pierres tumulaires étaient placées dans les bas-côtés de Saint Louis près de la sacristie ».
On lit par ailleurs dans ces mêmes archives qu’on a retiré « huit cercueils de plomb et deux cœurs également de plomb du caveau en dessous du Chevalier gisant au milieu du chœur de l’ église »

L’abbé Chambay, curé de Précy en 1873, disposant sans doute de témoignages locaux décrit un « Mausolée composé d’une épaisse dalle en marbre noir soutenue par quatre lions couchés qui faisaient office de supports de la dalle sur laquelle reposait un croisé en armure le heaume entr’ouvert, tenant d’une main son bouclier et de l’autre son épée ».
Comment interpréter toutes ces données ?

Gisant de Louis de Sancerre

Il s’agit de toute évidence d’un monument funéraire en l’honneur du bâtisseur appelé fondateur de l’église. Les decrétales et plus tard le droit canonique accordent aux fondateurs d’église, le droit de sépulture et de caveau à l’intérieur de l’édifice qu’ils ont fait construire.
Il est clair et net que ce droit fut accordé à Philippe de Précy. principal fondateur. A sa mort vers 1330, on lui a donc élevé un monument funéraire, sans doute un chevalier gisant en pierre comme on en faisait beaucoup à l’époque pour glorifier les chevaliers qui avaient participé aux croisades en Terre Sainte. Ce monument a probablement été brisé ou souffert du vandalisme qui sévit dans la région pendant la guerre de Cent ans lorsque les Anglais mirent le feu à l’église de Précy.
Le seigneur Louis de Saint Gelais, second fondateur, ayant également droit de sépulture et de caveau, a remanié l’église dévastée (1570) lorsqu’il a fait construire l’actuelle nef gothique. Il a sans doute aussi fait restaurer ou refait le monument funéraire à la manière de l’époque.
Les éléments de style renaissance, sont alors plus somptueux ce qui explique la deuxième description de la « pierre tumulaire » qui devient « Mausolée » en forme de tombeau. Ce dernier fut brisé à la Révolution Française et lors de la restauration de l’église (1828) on vendit les restes du monument à un marbrier de Senlis.
Aujourd’hui, seule une composition de dalles en marbre noir, blanc et rose déposées en forme de losange, marque l’endroit où se trouvait autrefois le monument funéraire du fondateur de l’église de Précy.
Sic transeat gloria mundi !
Ainsi passe la gloire du monde !

(1)    Paris Bibliothèque Nationale, Manuscrits français n°8579.
(2)    Archives Paroissiales de Précy. Chroniques Decaux et Batelier-Chambay