Les Vitraux de l’église

La rosace aux 11 lobes


Le vitrail est un art en perpétuel mouvement grâce à la lumière dont la moindre variation fait vibrer et se transformer la transparence ou la translucidité du verre et de sa couleur selon l’heure du jour, la saison ou les conditions atmosphériques. Couleur traversée et exaltée par la lumière, le vitrail transfigure et « dirige l’âme par les moyens matériels vers ce qui est immatériel » (Suger).
Personne ne peut nous dire aujourd’hui quelle était la qualité, la splendeur, l’originalité ou la nullité des verrières du XIIIème et XVIème siècles détruites lors du vandalisme de la guerre de Cent Ans (XVe siècle) ou de la Révolution (1792).

St Charles Borromée

Si l’équivalence couramment admise entre ancienneté et beauté est plus que douteuse et même une erreur, toujours est-il que les précéens ont au cours des siècles été fiers des vitraux de leur église.
Les verrières détruites à la Révolution furent remplacées au cours du XIXème siècle par une série de verrières ; imitations sans âme des vitraux du XIIIème ou verrières romantiques, assez banales à en juger par les éléments qui nous en restent. A part quelques exceptions, comme la rosace et le vitrail de Saint Louis, ce sont surtout des séries uniformes d’une fabrique de verres qui sortent des mains d’un marchand « peintre-verrier » plutôt que des vitraux d’un atelier d’art, sortis des mains d’un « maître- verrier ».
En 1873, le curé fait percer deux fenêtres dans le bas-côté droit de l’église. Monsieur Anchois fait don d’une verrière représentant Saint Nicolas et Sainte Adelaide. Le curé fait mettre une autre verrière représentant Saint Charles Borromée, dans l’autre fenêtre. En janvier 1874, une paroissienne, Madame Lensauffier, fait don d’une verrière représentant Sainte Félicité, martyre, placée dans une des fenêtres du bas-côté de l’église.

Georges Rouault

« Le conseil est d’avis que des verrières de couleur seraient remplacées dans les autres fenêtres au fur et à mesure que les ressources le permettront » (1874) (1). La grande rosace retrouva cette année-là son Christ enseignant, représenté en pantocrator comme il l’était autrefois.
Toutes ces verrières furent soufflées lors du bombardement de Saint Leu et Précy à la dernière guerre, le 5 août 1944, seule la rosace déposée pour l’essentiel par les soins de Monsieur Lucien Gérardot (2) qui paya également sa restauration, fut sauvée du désastre en même temps que le vitrail de Saint Louis et quelques panneaux d’autres vitraux sans caractère. Une photo-gravure ancienne montre les verres-cathédrales et la rosace bouchée par des lattes de bois. Seul un lobe de la rosace reste visible.

Henri Matisse

La présence des verres antiques du XIIIème et XVIème siècles dans l’actuelle rosace restaurée, permettent de penser que la rosace du XIIIème, démolie par les anglais lors de la guerre de Cent Ans (XVème siècle), fut remplacée au XVIème siècle par une autre verrière tout en gardant le thème du Christ enseignant et que par la suite on a opéré de la même manière après la Révolution et après les bombardements de 1944, toujours en gardant le maximum de verres antiques retrouvés dans les décombres du vandalisme ou du bombardement. Du pastiche en somme.
Il fallut attendre les dommages de guerre et le renouveau de l’art pour que la commune puisse panser les plaies béantes de son église. Le renouveau de l’art du vitrail est en réalité une véritable révolution. Elle fut l’œuvre de grands artistes comme Chagall, Matisse, Rouault, Villon, Le Corbusier, Manessier… et tant d’autres moins connus mais qui ont chacun à sa manière contribué à la régénération de l’art du vitrail. Leurs noms sont Gigon, Gilbert, Guérin, les Guevel, Le Moal, Simon, Ubac, etc…

Gustave Moreau

Celui qui nous intéresse est Bernard GILBERT. Sa vie fut marquée par le génie libérateur du peintre Rouault (1871-1958). Ce dernier venait de mourir en 1958. Il avait fait son apprentissage chez un maître-verrier. Son oeuvre devait s’en ressentir. Gustave Moreau avait été son professeur à l’Ecole des Beaux-arts où il connut Matisse et Marquet avec lesquels il exposa dans « La cage aux Fauves » en 1905. Mais il est avant tout un EXPRESSIONNISTE, un des plus grands peintres religieux de son temps.
Il a peint avec une violence vengeresse ou pitoyable. Une grande part de son oeuvre illustre les Evangiles. Coloriste remarquable, doué d’une profonde sensibilité, il a su exprimer une poésie tragique et prenante. Il a fait l’admiration d’un groupe de maîtres- verriers de l’après-guerre. Les vitraux de Rouault en l’église du plateau d’Assy sont les plus célèbres.
Lorsque le maire-adjoint de Précy, Monsieur Charles Minost, cherchait un maître-verrier pour remplacer le verre-cathédrale qui bouchait « provisoirement » les fenêtres de l’église jusqu’en 1958, des amis lui présentaient Bernard GILBERT, maître-verrier parisien qui travaillait dans le sillon et l’esprit de Georges Rouault. Pour ce dernier, la transcription en vitrail d’une oeuvre picturale nécessite tout un travail de gravure à l’acide, de grisailles colorées, toute une cuisine de peinture avec deux ou trois mises en plomb provisoires. La technique importe peu à ses yeux. C’est surtout une autre conception de l’art qui compte.

Vitrail de G Rouault

L’exigence première est le souffle créateur qui permet de trouver une présence, une ambiance, de provoquer un choc artistique, une émotion, de traduire une finesse, une sensibilité qui font vibrer intérieurement.
Bernard GILBERT avait profondément communié à cette conception de l’art du vitrail. C’était un homme tragiquement éprouvé par la sclérose en plaques de son épouse qu’il emmenait avec lui pendant qu’il plaçait les verrières dans l’église. Sa vie le prédisposait à comprendre la tragédie de la guerre avec ses répercutions sur les hommes et les choses. Le maire de Précy qui appréciait le peintre Rouault, fut conquis par les cartons et propositions de maître GILBERT qui l’emporta ainsi sur les d’autres maîtres-verriers (3). Le marché fut conclu en 1957 pour un essai d’arabesques dans le bas-côté droit de l’église (1958). Le maire trouva que l’ensemble ne chantait pas assez. Comment pouvait-il en être autrement pour le maître-verrier qui vivait tragiquement la morte lente de son épouse ?
Et puis le montant des dommages de guerre ne permettait pas de faire des « créations » selon l’inspiration du maître-verrier. C’est alors que le maire prit la décision de mettre le gros paquet sur les cinq verrières principales du chevet (1959). Un don anonyme lui permettait de le faire.
C’est à sa décision courageuse, pourtant critiquée par son conseil, que nous pouvons maintenant nous glorifier de posséder des vitraux Expressionnistes qui chantent dans le choeur de l’église. Au centre, nous voyons le Christ crucifié entouré de Marie et de Jean au pied de la croix. A droite et à gauche, nous trouvons dans les vitraux les apôtres Pierre et Paul, patrons de l’église. Saint Pierre est représenté avec sa clef et Saint Paul avec son glaive. Dans la chapelle de la Vierge, figurent la Vierge et l’Enfant.

St Paul
St Pierre

Ces verrières font l’admiration des connaisseurs qui retrouvent facilement le souffle des expressionnistes et en particulier l’inspiration de Rouault. Les non-initiés sont généralement émerveillés par les clairs-obscurs et les couleurs vives.
En 1987, le Conseil municipal a fait restaurer la grande verrière au-dessus du grand portail ainsi que l’ancien vitrail de la Chapelle de la Vierge qui avait été déposé en 1959 « par souci d’ensemble », a-t-on dit et qu’on a retrouvé en morceaux. Le maître-verrier Michel Guével les a ingénieusement complétés pour former une verrière, imitation XIIIème siècle, dans la chapelle des fonts baptismaux. La même année, le vitrail de Saint Louis, qui figure au-dessus de la porte de la sacristie et qui est inscrit depuis le 03 novembre 1984 aux objets mobiliers classés, a également été restauré. Ce vitrail tout en nuances et en finesse est l’œuvre d’un maître-verrier du XIXème siècle : J. G Roussel de Beauvais. Le haut du vitrail disparut lors du bombardement de 1944, emportant du même coup la tête du Saint roi de France. La restauration de ce vitrail faite par maître Claude Courageux de Beauvais donne à l’imberbe Saint Louis, mort à 56 ans, une tête de vieillard barbu…

La Vierge et l’enfant

La commune a confié la restauration ingrate des vitraux (XIXème siècle) du haut de la nef centrale au maître-verrier Michel Guével. Ainsi, chaque génération apporte sa contribution pour l’entretien (4), la restauration ou l’enrichissement du patrimoine artistique de Précy.

(1) Sources.-
1. Archives Paroissiales de Précy
2 Archives communales de Precy,
3. Propos recueillis par moi même auprès de Monsieur Charles Minost, ancien maire, et auprès d’autres anciens de Précy : Mesdames Danielle Gérardot — Noblecourt et Roland Cornette.

(2) Les peintres-verriers de Précy, chargés de l’entretien courant des vitraux de l’église sont : Louis-Stanislas Gérin pour le XIXème siècle et Clément Noblecourt pour le XXème, siècle. Clement Noblecourt a reposé les vitraux de la rosace, qu’on avait  déposés au moment de la guerre et mis en sécurité dans les caves  du  chateau Vénèque.

(3) Le devis de maitre GILBERT prévoit pour les cinq fenetres du Choeur; totalisant une surface d’environ 16,37 m2, une somme de 736.650 F soit 45.000 F/m2 pour du verre antique de couleurs soutenues, à morcellement semi régulier, coupé suivant un module permettant pratiquement toutes les combinaisons possibles, sous plomb de 8 mm au moins, avec grisaille grand feu. Les douze baies totalisant une surface d’environ 51,66 m2 pour un prix forfaitaire global de 1.808.100 F, ce qui signifie 35.000 F le m2. Les fenetres totalisant une surface de 5,80 m2 à 19.570 F le m2 soit 113.406 F. Les restaurations des fenetres hautes 100.937,00 F
Total du devis : 2.759.100 F au 5 décembre 1957.

(4) les devis établis au nom de Monsieur Coeurderoy, maire, peuvent induire en erreur. De fait, Monsieur Minost, maire-adjoint qui fut chargé du dossier « Vitraux de l’église » et c’est lui qui en tant que maire (1959) a mené les travaux à leur aboutissement.