Seigneur de Précy 1570-1589
(1513 – 1589)
Le plus attachant seigneur de Précy est sans aucun doute le fils naturel du roi François ler, demi-frère du roi Henri II, et oncle des rois François II (+1560), Charles IX (+1574) et Henri III (+1589).
Le futur roi François ler avait dix-huit ans lorsqu’il succomba aux charmes de la belle Jacquette de Lansac, épouse d’Alexandre de Saint-Gelais, chambellan et conseiller du roi Louis XII. Ce diplomate apprécié à la Cour de France fut très souvent absent de son foyer à cause des missions qui lui furent confiées. Son épouse Jacquette devint ainsi pour un moment l’ensorcelante maîtresse du jeune François d’Angoulême à qui elle donna un fils, Louis, qui porta le nom de son mari Alexandre de Saint-Gelais de Lansac
François, marié à Claude de France, fille du roi Louis XII, succéda à son royal cousin, mort sans descendance. Lorsqu’en 1522 Alexandre de Saint-Gelais mourut, François Ier nomma aussitôt son jeune fils Louis, qui n’avait que neuf ans, comme garde du sceau de la Chancellerie de Bordeaux et confia à Jacquette la jouissance de ses revenus sa vie durant. Né en 1513 à Cornefou ou à Cognac, le jeune Louis, on s’en doute, reçut une éducation princière. Dans le contexte de la Renaissance, il reçut une formation humaniste. Il parlait l’italien, l’espagnol, le latin, l’anglais et l’allemand, et fut aussi habile avec son épée qu’avec son cheval.
Louis était un homme sensible, amateur éclairé d’art et de lettres, séduisant, d’une intelligence remarquable, éloquent, et poète à ses heures. Son portrait de l’atelier de François Clouet, au musée du Louvre, nous le présente plein de réserve et de distinction. (Inv. 3270. B. H. 0, 315X1).
Lansac est également un homme de guerre, un militaire qui gravit tous les grades. Présent aux batailles de François Ier contre Charles Quint ou pour organiser la représentation de la Guyenne à propos du sel, il est toujours prêt à défendre les intérêts du roi. Il est renvoyé en mission à Londres pour sonder les prétentions d’Élisabeth, reine d’Angleterre sur l’Écosse, dont la reine Marie Stuart, âgée de neuf ans, est fiancée au futur François Il qui a sept ans. C’est également lui qui est chargé d’instruire Édouard VI de la position française en faveur de l’Écosse pour que Marie Stuart garde son royaume.
Ambassadeur extraordinaire à Rome, il est chargé de renouer les liens diplomatiques avec le pape Jules III et d’obtenir sa neutralité dans le combat contre Charles Quint. « Jules III remercia Henri II de la bonne grâce de son envoyé et lorsque M. de Lansac prit congé le 28 juillet, le Pape détacha de son doigt un diamant précieux et lui offrit. » (Sauzé de Lhoumeau).
Il fut maire de Bordeaux de 1556 à 1557. C’est lui qui conduisit le cortège funèbre portant à Saint Denis son jeune roi François qui fut à la fois son neveu, son élève et son roi.
En 1559, il accompagne Élisabeth de Valois, la jeune soeur du roi, donnée à quatorze ans comme épouse à Philippe II d’Espagne. Conscient que la transaction était purement politique, Saint-Gelais qui fut interprète à la cour d’Espagne, fit en sorte qu’elle soit traitée avec les honneurs dus à son rang. Il ne la quitte qu’en 1560. Elle mourut en 1568.
Louis de Lansac fut en somme un fin politique lié aux évènements complexes de ce XVIe siècle. Sa correspondance politique a été publiée par Sauzé de Lhoumeau dans les « Archives historiques du Poitou » – Tome 33, 1904. A.D.D.S.
Il eut huit enfants : quatre avec sa première femme, Jeanne de la Roche-Andry (1563) et trois de son second mariage en 1565 avec Gabrielle de Rochechouart, puis un fils naturel, Urbain, né en 1540, qui deviendra évêque de Saint Bertrand de Cominges.
C’est grâce à Antoine de SAINT-SIMON, dont la famille et les ancêtres étaient à l’honneur à la cour de François Ier, que Louis de saint Gelais a pu acquérir en 1570 la seigneurie de Précy avec ses droits et dépendances à Bonqueval et Blaincourt. Cent vingt ans auparavant, Louis de Précy, n’ayant pas de descendants, avait également cédé la seigneurie de Précy aux SAINT-SIMON de ROUVROY qui, les uns après les autres, ont très peu habité le château de Précy en ruines.
Précy devint alors la résidence préférée de Louis de Saint Gelais, même si ses autres châteaux étaient plus grandioses ou luxueux. Il aimait séjourner à Précy pour s’y reposer loin du tumulte et des intrigues de la Cour. Joachim du Bellay, le poète des regrets, qu’il avait rencontré dans son ambassade à Rome, lui dédia une Ode de 144 vers où il l’appelle « l’Honneur de Saintonge ». Ronsard, puis Montaigne, furent ses hôtes en 1573 au château de Précy. Son fils s’était marié avec la fille du Seigneur d’Azay-le-Rideau. Ceci explique sans doute pourquoi Louis de Saint Gelais fit appel aux maîtres d’oeuvre d’Azay-le-Rideau pour construire son manoir à Précy sur l’emplacement du castel féodal démantelé et en grande partie démoli vers 1430.
C’est également lui qui fit reconstruire trois des cinq nefs de l’église de Précy, incendiée par les Anglais au cours du XVe siècle pendant la guerre de Cent ans.
Parmi les missions délicates confiées par Catherine de Médicis agissant au nom du Roi, il en est une qui concerne la succession du trône. À ce moment, Louis de Lansac était tombé en disgrâce auprès du Roi. En 1581, devant les dépenses somptuaires d’Henri III, il n’a pas hésité à lui reprocher l’énormité des taxes que le peuple avait à supporter. Le Roi l’avait fort mal pris et avait prononcé à son encontre des paroles fâcheuses. Lansac en tomba gravement malade.
Les politiques et les aristocrates étaient divisés. Certains souhaitaient une république, d’autres une substitution de branche : Henri III détrôné au profit des Bourbons ; les uns penchant pour Henri de Bourbon, roi de Navarre, les autres pour son oncle le Cardinal Charles de Bourbon.
Cette guerre de succession connut différents soubresauts. Henri III, l’efféminé aux nombreux mignons, hésita entre la Ligue Catholique soutenue par les Guise, et les Huguenots soutenus par Henri de Bourbon, le béarnais.
Louis de Saint-Gelais, ambassadeur auprès du Saint-Siège, avait assisté au Concile de Trente. Il en était revenu après une humiliation diplomatique, puis il avait à nouveau été envoyé à Rome pour acheter les suffrages (les voix) du Conclave en faveur du candidat français, le Cardinal archevêque de Canterbury, qui joua un rôle très important dans la lutte contre le protestantisme. Il avait échoué dans cette mission mais, cette fois-ci, avec le concours de la Ligue Catholique et le soutien du Roi Philippe II d’Espagne, il revendiquait le trône de France pour le Cardinal de Bourbon.
Charles de Bourbon était évêque de Beauvais depuis le jour où Charles IX s’était pressé de remplacer l’évêque Odet de Châtillon qui était passé au Calvinisme. Il voulait un évêque prêt à extirper le protestantisme de Beauvais (1569) et utilisait ainsi Saint-Gelais pour faire croire qu’ils voulaient imposer les Décrets du Concile de Trente alors qu’en réalité les évêques Gallicans, tout comme les Huguenots, contestaient la suprématie pontificale. Quant à Saint-Gelais, sa position était hésitante.
Entre-temps, le Duc de Guise s’était autoproclamé lieutenant de l’état royal et de la couronne de France. Il essaya dans un dernier soubresaut d’imposer le Cardinal Charles de Bourbon comme « Bon Roi de France » sous le nom de « Charles X ». Il devait prendre possession du trône aussitôt qu’on l’aurait sauvé de la prison où ses ennemis le retenaient. Ce remue-ménage ne servit à rien. Catherine de Médicis y mit alors son grain de sel.
Elle décida de marier sa fille Margot (Marguerite de Valois) au roi Henri de Navarre en exigeant la conversion du Béarnais. Ce fut fait le 19 août 1572. Le 23 août, le roi convoqua le Conseil privé qui décida de la Saint-Barthélemy. Louis de Saint-Gelais « est même de ceux qui tiennent la main-forte à l’entreprise ». (De Thou). Henri de Navarre avait échappé à la sanglante Saint-Barthélemy et à beaucoup d’autres tentatives d’ élimination.
Paris, asservi par les ligueurs, était sur le point de tomber quand la foule, dans un sursaut de révolte et d’écœurement, se dressa contre Henri III qui avait commandité l’assassinat du duc de Guise. Le prince de Condé voulut lui aussi une revanche personnelle contre le roi et ses mignons sodomites. Comment pouvait-il oublier que le duc d’Anjou, l’actuel roi de France, avait fait porter sur le dos d’une ânesse, le cadavre de son père assassiné à la Bataille de Jarnac (1569), bras et jambes pendantes, et qu’il avait ainsi laissé exposé aux insultes des Catholiques devant une église. On avait, à la mort de ce prince protestant, chanté le Te Deum dans toute la France. Le peuple, écoeuré et ruiné par les guerres, réclama la mort du roi tyran. Dans les églises, on chantait des psaumes de pénitences pour obtenir une intervention divine.
Les curés plaçaient le portrait du roi sur les autels et faisaient des cérémonies d’envoûtement comme s’il était l’incarnation de Satan.
Paris ne manquait pas de fanatiques hantés par l’idée du meurtre. Jacques Clément, un Jacobin de vingt-trois ans, décida de passer au régicide. On lui obtint un passeport. Introduit dans la chambre du roi, il se prosterne, demande d’écarter les gens pour délivrer un message secret au roi. Comme le roi se penche alors vers lui pour mieux l’entendre, il lui donne un coup de poignard dont il devait mourir. Le roi mourant eut le temps de convoquer Henri de Navarre pour l’engager à se convertir au catholicisme. Il l’embrassa et le reconnut comme son successeur.
L’assassinat d’Henri III jeta l’armée royale dans la stupeur et la consternation. Que faire ? Un fait était certain : la couronne appartenait de droit à Henri de Bourbon, roi de Navarre, alors que toute la Cour savait que Louis de Saint-Gelais était le seul fils naturel survivant du roi François Ier. Seulement, il n’avait pas la légitimité…
Puis, sur la promesse formelle par laquelle Henri de Navarre s’engageait à maintenir la religion catholique et à ne permettre l’exercice du culte calviniste que conformément aux décrets du défunt roi, la presque totalité de l’armée le proclama roi de France sous le nom d’Henri IV et lui prêta serment de fidélité.
Le corps d’Henri III fut conduit à Compiègne pour y être déposé provisoirement. Nicolas Fumée, évêque de Beauvais, accompagnait Henri IV et célébra les funérailles du roi assassiné. Quand le cortège funèbre traversa le Beauvaisis pour se diriger vers Compiègne, Clermont lui refusa de passer près de ses murs. Indigné par ce refus, Henri IV se vengea de l’affront qu’on venait de lui infliger et prit de force le château et la ville.
Louis de Saint-Gelais s’était entre-temps retiré des affaires publiques et s’était réfugié à Précy. En 1586, son château de la Motte fut assiégé par les Huguenots et celui d’Exoudun pris par le roi de Navarre. Sa santé fortement ébranlée ne lui permit pas de surmonter les échecs et les épreuves. Il mourut au château de Précy le 5 octobre 1589. Il fut inhumé en l’église de Précy où son mausolée fut détruit et sa sépulture violée pendant le vandalisme de la terreur révolutionnaire. Son écu figure sur la façade nord de l’église et ses armoiries trônent dans la tour hexagonale du château de Précy. Il portait écartelé au premier et au quatrième d’azur à la croix alaisée d’argent, qui est de Saint-Gelais, et au deuxième et au troisième burelé d’argent et d’azur des dix fasces, au lion de gueules, armé, lampassé et couronné d’or, qui est de Lusignan. Un cordon entoure son blason. C’est celui de l’Ordre du Saint Esprit que le roi Henri III avait créé en 1578 pour honorer ceux des courtisans qui combattaient les protestants. Pour ses adversaires qui réclamaient à un moment donné des preuves de sa haute noblesse, il met sur son blason à côté de la croix des Saint-Gelais, les armes des Lusignan, ses ancêtres, et sur son heaume figure la fée Mélusine dissimulant une partie de sa queue de serpent dans le cuvier de son bain.
Avec la mort de Louis de Saint-Gelais de Lusignan, une page est tournée, un siècle est passé. Coligny était massacré à la Saint Barthélemy (1572), Marie Stuart avait été décapitée (1587), le duc de Guise était assassiné (1588), Catherine de Médicis devait mourir quelques jours après son fils le Roi Henri III poignardé en août 1589. Henri de Navarre abjure définitivement le protestantisme (1593), se fait sacrer roi à Chartres et fait son entrée triomphale à Paris en 1594. Il fut roi de France jusqu’au 14 mai 1610 lorsqu’il fut à son tour assassiné par Ravaillac qui croyait ainsi sauver la religion catholique.
Ce XVIe siècle reste dans l’Histoire du catholicisme un des plus sombres et des plus sanglants. Ce fut un siècle d’embrouilles tragiques tant sur le plan intérieur où les abominables guerres de religion divisaient les Français, que sur le plan extérieur où toute l’Europe s’unit pour résister à l’envahisseur ottoman qui veut imposer l’islam
Le conflit entre l’Europe chrétienne et le monde islamique inaugure à ce moment-là l’interpénétration sanglante et parfois terroriste de ces deux civilisations à travers les siècles.