Messire Alexandre de Barry

Le calvaire de Précy


En 1696, Alexandre de Barry fut nommé curé de « Précy en Isle de France ».
La chronique paroissiale qui relate son installation est pittoresque. Le rituel ou cérémonial utilisé de 1563 à 1789 et même au-delà, était à peu de chose près, partout le même en Beauvaisis comme en Ile de France. Face aux nombreux abus de la part des laïcs comme de la part du clergé : curés « nommés » ne résidant pas dans leur paroisse, prêtres « vagi », vagabonds sans attache diocésaine, laïcs « curés » alors qu’ils ne sont pas prêtres, etc… les réformes voulues par le Concile de Trente mettent l’accent sur l’installation canonique, la fidélité à l’Eglise locale et le devoir de résidence, d’où le déploiement d’un rituel soulignant ces différents aspects.
Messire Alexandre de Barry arriva un beau matin de juin de l’an de grâce mille six cent quatre vingt seize.

Gardes suisses

La calèche ouverte qui l’amena, lui, le grand-vicaire du Cardinal-évêque de Beauvais et le Prieur de l’abbaye de Saint Leu, était tirée par deux chevaux blancs. Elle était précédée de deux fiacres où avait pris place la famille du nouveau curé. Arrivé au calvaire à l’entrée sur la route de Beauvais il fut accueilli par le maire, les marguilliers de la paroisse et une foule de paroissiens venus par devoir ou par curiosité pour le conduire en procession jusqu’à l’église. Quand le curé descendit de la calèche, le maire s’avança pour lui adresser un compliment. Une petite fille lui offrit une gerbe de fleurs et fit une révérence. Le curé l’embrassa. La foule l’acclama et applaudit longuement. Puis le cortège se mit en route vers l’église.
Le curé portait une soutane et une cape en moire aux reflets changeants. Il tenait son chapeau tricorne à la main, portait un rabat, une croix pectorale et sur ses chaussures de cuir vernissé, des boucles d’argent. Le Suisse en grande tenue d’apparat, coiffé de son plus beau chapeau garni de blanches plumes d’autruche, sa hallebarde brillante à la main, conduisait derrière la croix de procession une quinzaine d’enfants de chœur, tous vêtus d’une soutane cardinalice et d’un surplis à dentelles. Ils portaient des chaussons rouges et sur la tête une calotte de même couleur. Derrière eux, précédées de la bannière de la vierge, défilaient les enfants de Marie, toutes vêtues de blanc et enrubannées de cordons bleus. Elles avaient le visage voilé, portaient des gants blancs et chantaient des cantiques sous la conduite de l’écolâtre de la paroisse. Suivaient à cheval, les chevaliers de l’arc de la confrérie de Saint Sébastien. Chacun tenait son arc et un écu aux armes des Montmorency-Luxembourg. Deux serpents d’église accompagnaient le cortège. Les cloches sonnaient à toute volée.

Ancienne abbaye de St Leu

Arrivé devant le grand portail de l’église, le nouveau curé descendait de la calèche et se dirigeait vers la grande croix au milieu du cimetière pour y déposer une gerbe de fleurs et s’y recueillir quelques instants. Puis, toujours accompagné du grand-vicaire, du Prieur de Saint Leu, des deux chapelains de Précy, du doyen de Beaumont et des curés des environs, il retournait devant le grand portail de l’église où le grand-vicaire invitait le curé « nommé » à prendre « possession réelle et corporelle » de son église.
Le Prieur de Saint Leu lui remettait aussitôt la grande clef de l’église, qu’un enfant de chœur lui présentait sur un coussin rouge. Le curé ouvrait alors la grande porte et entrait en aspergeant d’eau bénite les fidèles qui entonnaient l’hymne : « tu es sacerdos in aeternum ». Puis, accompagné du grand-vicaire, l’abbé Alexandre de Barry se dirigeait vers le maître-autel. Le grand-vicaire, arborant une croix pectorale à diamants sur son camail violet, montait solennellement, ouvrait le tabernacle et le curé agenouillé devant l’autel renouvelait à haute et intelligible voix, ses promesses de baptême, ses engagements sacerdotaux et sa fidélité à l’Eglise. Le cérémoniaire lui faisait alors signe de se relever et le grand-vicaire lui remettait alors un anneau en disant : « Recevez cet anneau et portez-le en signe de l’alliance du Seigneur avec l’Eglise de Précy. Elle est désormais votre épouse dont je vous établis pasteur ».

Intérieur de l’église de Précy

Le curé monte alors à l’autel, baise l’autel, ferme le tabernacle et revêt les ornements sacerdotaux déposés sur l’autel. Ils sont de toute beauté car à Précy on sait broder et faire des dentelles de qualité. Ensuite il prépare le missel pour la messe qu’il va célébrer. Auparavant, le grand-vicaire le conduit aux fonts baptismaux sur lesquels il impose les mains puis le conduit au confessionnal. Il y entre, s’assoit et en ressort aussitôt. Après, il est conduit au fond de l’église où il est invité à sonner les cloches en compagnie des trois sonneurs bien rondouillards. Puis il retourne à l’autel où le grand-vicaire proclame la prise de possession. Après sa première messe dans sa nouvelle paroisse, le curé recevait l’hommage du maire, des marguilliers et des notables de la paroisse. Un banquet organisé au presbytère clôturait la cérémonie. A voir le menu, il faut croire qu’ils avaient de solides estomacs.
Il y avait plusieurs entrées, des entremets, plusieurs viandes rouges et blanches, des faisans et des chapons, des poissons, des fruits et des desserts ; le tout arrosé de vins appropriés à chaque plat.
Un vrai repas de noce ! …
Le Rituel de cette époque invite le curé à redire chaque jour la prière ; « Seigneur, vous êtes celui qui chaque matin passe à mon doigt l’anneau du fils prodigue, faites que de nos coeurs incertains jaillisse la joie et la louange pour votre plus grande gloire ».
« L’An 1697, le quatrième jour de May », on transporta à l’église « avec toute la solennité qu’on pense » les reliques jusque là pieusement vénérées en la chapelle du château. Madame la Duchesse de Montmorency -Luxembourg qui les avait offertes à l’église, assista à la cérémonie « présidée par Messire Claude-François Lefèvre d’Ormesson, prêtre docteur de la maison de Sorbonne, doyen de l’Eglise de Beauvais, Vicaire général de Monseigneur l’éminentissime Cardinal de Janson Forbin, évêque-compte de Beauvais, Vidame de Gerberoy, Pair de France, Commandeur des ordres du Roy… et en présence de Messire Alexandre de Barry, prêtre chapelain, Messire Henry Hané aussi chapelain dudit Précy et de Ma dite Dame Duchesse de Luxembourg… et Messire Robert Chefdeville, curé de Beaumont pris comme secrétaire, qui apposa, après reconnaissance des saintes reliques, le sceau de Monsieur le Cardinal-évêque ».

Blason Lefèvre-d’Ormesson

Alexandre de Barry resta curé de Précy jusqu’en 1704. Il a courageusement œuvré pour changer les mentalités imprégnées du jansénisme fort répandu dans la région. Il accepta le legs de Madame la Comtesse de Bouteville au profit des chapelains, s’élevant à 90 livres de rente annuelle. Il accepta également au nom de la Fabrique la fondation faite en 1699 « pour que la prière du soir fut récitée tous les dimanches avec bénédiction du saint ciboire ».
Cela se passait à la lueur des cierges et des bougies, le tout baignant dans les nuages parfumés de l’encens.