Cet article se voudrait une pièce de plus pour le puzzle de l’histoire de Précy. Peut-on, à l’heure du R.M.I. pousser un cri d’alarme à propos de la violation des tombes ?
Les uns se scandalisent de voir des tombes profanées, d’autres s’indignent de voir qu’on se préoccupe plus de pierres tombales que de tant d’hommes brisés ou profanés d’une autre manière.
La vie et les êtres ont plus d’importance que les choses !
Pourtant l’un n’empêche pas l’autre, même si ce cri d’alarme se veut en faveur de tant de malheureux qui sont comme des pierres vivantes qui crient « pitié » !
Parmi eux, il y a ceux et celles de Précy, dont on a voulu effacer le souvenir d’un passé riche en événements de tous genres. Oublier le passé c’est risquer de revivre ses erreurs !
Les dalles funéraires gravées que l’on peut repérer dans le dallage en damier noir et blanc de la nef de l’église se trouvaient primitivement dans le choeur. Elles couvraient principalement les dépouilles des Seigneurs de Précy ou des membres et proches de leur famille.
Lors de la Révolution de 1789, elles furent l’objet de vandalisme et de profanations. Plusieurs ont disparu et d’autres sont par l’usure devenues illisibles. Au lendemain de la Révolution on réorganisa le culte et l’église fut restaurée. Les vestiges de ces dalles funéraires prirent alors place dans le nouveau dallage de la nef. Etait-ce pour flatter le goût du jour ou voulait-on piétiner ces dalles pour exprimer son mépris à l’égard de ceux qu’elles rappellent ?
Retenons qu’elles étaient plus nombreuses et que l’emplacement de celles, qui restent ne correspond pas aux caveaux qu’elles ont recouverts autrefois.
Ces magnifiques dalles, témoignages du patrimoine local, sont aujourd’hui dans un état de conservation préoccupant. Si l’on ne remédie pas à cette situation, il est à craindre qu’elles soient à tout jamais perdues pour les générations futures.
La pierre calcaire de ces dalles gravées est de bonne qualité, homogène, à grain fin, de couleur brun clair et ferme. Leur provenance est sûrement des carrières de Saint-Maximin (Oise), seule la pierre tombale du Chevalier Jehan de l’Amaury est en liais. Celle du prêtre de la paroisse est ferme mais couverte de calcin (1). Le durcissement du calcin et l’aspect de taille polie mat (2) des autres dalles, leur donnent un aspect plus clair.
Elles ne sont pas signées par le graveur. Les incisions sont en «V» de trois millimètres de profondeur.
Un feuillet volant des archives paroissiales donne un croquis de l’emplacement des dalles dans le chœur, avant la Révolution. Celles des plus importants personnages entouraient le mausolée en marbre noir et blanc surmonté du gisant représentant un Chevalier, Seigneur de Précy (3).
Au milieu, devant le maître-autel, rejoignant son marchepied, se trouvait celle d’un prêtre, curé-chapelain de la paroisse de Précy. Elle mesure 2,33 m de longueur sur 1,20 m de largeur, c’est la plus grande dalle gravée de l’église. Sur les restes de cette pierre on voit encore le tracé de la chasuble gothique, de l’aube et des armoiries du prêtre. Les quelques inscriptions gothiques de l’épitaphe sont trop usées pour être déchiffrées.
Tout porte à croire qu’il s’agit du premier ou de l’un des premiers curés de la paroisse. C’est la pierre la plus ancienne ; quatre autres dalles sont du XVIème siècle, deux autres encore du XVIlème siècle et une du XVIllème siècle. Les autres pierres gravées sont illisibles (4).
La deuxième dalle funéraire qui mérite attention est celle de Guillaume de Rasse et son épouse. Cette pierre gravée mesure 1,65 m de longueur sur 80 cm de largeur. L’épitaphe qui borde les quatre côtés de la dalle fait penser à une ligne de manuscrit médiéval. Les lettres gothiques sont gravées à fond plat en «V» de 3 millimètres de profondeur.
On y lit : « Ci gisent nobles personnes Messire Guillaume de Rasse en son vivant advocat à la Cour et Parlement, demeurant à Précy, lequel trépassa le onzième jour de septembre 1563 et Demoiselle Jehanne de Bellon, femme dudit défunt laquelle décédée le onzième jour de septembre 1580.
Priez Dieu pour leurs âmes ».
Guillaume de Rasse de l’illustre maison de Saint-Simon est représenté en robe d’avocat. Il porte les cheveux courts et bouclés, la barbe et la moustache à la mode de François Ier. Il a les yeux ouverts et les mains jointes pour la prière. Sa femme, Jehanne de Belloy a elle aussi les yeux ouverts comme pour proclamer qu’elle et son mari sont toujours vivants et contemplent Dieu dans le face à face éternel. Elle porte un chaperon avec voile, une chemise à col godronné, ancêtre de la fraise, une cotte et surcotte à col en éventail. La cotte a des crevés à l’Italienne. A sa ceinture à cordelière est suspendue une croix.
L’attitude hiératique du couple respire la majesté. Leurs visages sont de toute évidence stylisés et traités pour affirmer la Foi en la vie éternelle. Le regard serein des personnages étroitement serrés l’un contre l’autre et leurs mains jointes pour la prière dégagent un sentiment de paix. Leurs armoiries figurent sur le haut de la dalle.
L’histoire nous apprend qu’ils avaient perdu leur fils Loys en 1534. Il était avocat en la Cour et Parlement de Paris et fut inhumé en l’église de Précy. Sa dalle funéraire gravée existe toujours. Elle mesure 1,30 in de longueur sur 73 cm de largeur et est malheureusement presque totalement effacée. De même pour la dalle gravée de leur fille, Dame Charlotte de Rasse, qui mourut en 1581, huit mois après sa mère et fut également inhumée dans le caveau de famille dans le choeur de l’église.
Cette dernière pierre gravée mesure 1,35 m de longueur sur 64 cm de largeur. Une autre dalle funéraire, probablement de la même famille de Rasse et qui mesure 1,35 m de longueur sur 64 cm de largeur représente un « avocat de la Cour et Parlement de Paris, demeurant à Précy où il fut inhumé… et près de lui son fils qui trépassa trente jours après Son père ».
Il s’appelait Louis. On voit les traits de sa robe d’avocat. Le reste des gravures est pratiquement indéchiffrable.
La plus belle dalle funéraire en l’église est la plus ornée, la plus originale et la mieux conservée. Elle est en liais, mesure 2,16 m de longueur sur 1,12m de largeur et se trouve placée au pied de la Chaire de Vérité. Elle représente le Chevalier Jehan de l’Amaury. Il a dû faire exécuter cette dalle de son vivant car l’inscription de la date de son décès est gravée avec d’autres caractères que le reste de l’épitaphe. Les mots, « le premier jour de Mai mille six cens 24 » ont été ajoutés après sa mort. Cela se faisait couramment et se fait encore de nos jours.
Le chevalier est en armure, cotte de mailles, cubitières, canons de bras, cuissards, genouillères, ailerons, grèves et sollerets. Les grèves sont faites de lames superposées tout en étant d’un seul élément. Cela correspond aux modèles qui circulaient dans les ateliers des tourbiers de l’époque. Les contrats passés entre l’acheteur et l’artiste ou artisan tourbier spécifiaient s’il s’agissait d’une dame, damoiselle, prêtre, chanoine, avocat, chevalier, etc…
On lui communiquait le dessin de ses armoiries, le texte à graver comme épitaphe et parfois le choix de l’écriture « à la mode antique ou moderne » mais jamais de portrait. Certaines dalles étaient pré-gravées dans les ateliers où on venait les choisir. Il ne restait plus au graveur qu’à compléter l’épitaphe, les armoiries ou autres accessoires.
Ici le graveur a représenté le Chevalier dans un décor meublant architectural et floral composé de colonnes corinthiennes sur sous-bassements garnies de feuilles et de rinceaux. Jehan de l’Amaury, coiffé barbu et moustachu à la François ler porte une chemise à col en éventail qui sort de son vêtement. Il a les mains jointes et les yeux fermés. Sur son tabard on voit ses armes cousues ; une croix à dextre et un lion à senestre. Ses armoiries se retrouvent en haut de la pierre tombale dans un décor de feuilles d’acanthe stylisées. On y aperçoit son écu surmonté du heaume à plumait. Son épée figure à ses côtés. Une épitaphe gravée en caractères gothiques borde les quatre côtés de la dalle.
On y lit : « Ci gist Jehan de l’Amaury en son vivant escuier Seigneur de Chabonne… mère et du feu Roy Henri Ill, Roy de France et de Pologne, Contrôleur et Maistre d’hostel ordinaire de Monseigneur le prince de Condé, lequel décéda le premier jour de may mil six cens vingt quatre. Priez Dieu pour son âme… »
Que vint faire cet écuyer à Précy ?
Intendant du prince de Condé, tout en faisant parfois fonction d’officier de table dans les grandes cérémonies, on peut supposer, étant donné les relations des Condé avec les Montmorency, que Jehan de l’Amaury fréquenta le bouillonnant et querelleur François de Montmorency, Seigneur de Précy de 1616 à 1627. Le fait d’être inhumé en l’église de Précy indique un lien d’amitié ou de parenté avec les seigneurs de Précy.
A-t-il servi comme maître d’équitation au seigneur ou aux Dames ? Etait-il intendant ou simplement l’ami qui portait l’écu de François de Montmorency lors de ses nombreuses réceptions et chevauchées ? François de Montmorency est demeuré célèbre dans les annales de France pour avoir tué en duel le Comte de Torigny, marquis de Bussy. Le duel était interdit dans le royaume. Louis XIII le fit arrêter et juger. Il fut décapité à Paris en place de Grève, le 21 juin 1627. Son coeur a été enfermé dans un coeur de plomb et déposé dans le caveau de l’église de Précy.
Une dalle funéraire rappela sans doute cette présence mais nous n’en trouvons pas de trace si ce n’est que dans les archives paroissiales qui signalent que les révolutionnaires vandales retirent du caveau de l’église : huit cercueils de plomb en mauvais état ainsi que deux cœurs de plomb dont un portait l’inscription : « le cœur de monsieur le Comte de Bouteville ».
Parmi les autres dalles indéchiffrables, figure une dalle de Fondation ainsi qu’une moitié de dalle de 80 cm sur 73 cm. Elle se trouve dans la nef près de la pierre tombale de Guillaume de Rasse. Cet inconnu, est mort en « Janvier 1755… Claude François Caron… lui a fait mettre ce, te tombe. Priez Dieu pour lui ». Le bas de la pierre est gravé d’une grande tête de mort (crâne) entourée d’une fleur de lys de chaque côté. L’affection qui liait ces deux hommes est sans doute à l’origine de cette dalle. Il s’agit peut-être du fils de Gilbert Caron, lieutenant de Précy ?
La dernière dalle funéraire est celle d’un chirurgien-apothicaire de Précy. C’est une dalle de fondation d’1,20 m de longueur sur 65 cm de largeur. Ce modèle se retrouve à plusieurs endroits, seul le texte et les initiales varient d’une personne à l’autre. Le texte est encadré de deux colonnes ioniques (5) ; elles soutiennent une pierre transversale surmontée d’une pierre en demi-cercle, où figure un homme à genoux sur un prie-Dieu, devant un Christ en croix.
De l’autre côté de la croix, on aperçoit un banc vide. L’épitaphe qui introduit le texte est une citation latine du livre de Job, gravée en lettres modernes « In novissimo die de terra surrecturus sum et rursum circumdabor pelle mea ».
Le texte qui suit précise : « Cy devant gist honnorable home, Germain Noël, vivant chirurgien aphothicaire de la maison du Roy lequel est décédé à Précy le 2ème jour d’apvril 1652 ». Il s’agit du médecin apothicaire de l’Hôtel Dieu ou charité de Précy. Il habitait sur la place de l’église à l’endroit de l’actuelle maison de Dominique Blondel.
La dalle précise que, par testament, Germain Noël avait légué à l’église de Précy une rente annuelle de sept livres quinze sols pour acquitter des messes et prières pour le repos de son âme, « le jour de saint Germain et à la fin des messes de dire le De Profundis sur sa sépulture, crestien priez Dieu pour son âme. Requiescat in pace ».
En terminant cet article concernant les souvenirs funéraires en l’église de Précy, je m’en voudrais d’oublier de signaler les restes d’une litre (6) peinte au-dessus des colonnes de la nef centrale. On peut encore deviner la polychromie d’armoiries pas tout à fait effacées, à droite, sur le mur à côté de l’estrade de la tribune d’orgue. On distingue deux anges qui soutiennent une couronne ducale au-dessus des armoiries du Maréchal Charles François Frédéric II de Montmorency, duc de Luxembourg, Seigneur de Précy (1702-1764)
(1) La pierre extraite des carrières est imprégnée d’eau. Quand l’eau s’évapore, il reste à la sur face de la pierre un dépôt de carbonate de chaux qui forme une croûte appelée calcin.
(2) Taille terminée à la potée d’étain ou à l’acide oxalique. L’application est faite manuellement au moyen d’un tampon feutre ou de drap enroulé très serré et légèrement humidifié.
(3) Il s’agit sans doute de Philippe ou de Guillaume de Précy. L’un et l’autre s’étaient croisés. L’un à la première, et l’autre à la sixième croisade. Philippe de Précy avait rapporté des reliques de Terre Sainte. A son retour, on lui avait fait un accueil triomphal.
L’hypothèse que le gisant représentait plutôt Louis de Saint Gelais repose sur un texte des archives paroissiales qui dit qu’ il fut inhumé dans le chœur de l’église. Or le chœur est vaste et ne signifie pas forcément le caveau devant le maître-autel. 11 est fort probable que Louis de Saint Gelais se trouvait inhumé en la chapelle Saint-Louis à côté de la sacristie. L’histoire nous apprend qu’en 1793, c’est-à-dire deux cents ans après sa mort on avait retrouvé son corps intact.
Certains criaient au miracle et venaient fleurir sa tombe au lendemain de la Révolution. Le vitrail de Saint Louis, roi de France, atteste-t-il de cette dévotion envers leur seigneur Louis de Saint Gelais qui avait reconstruit la nef de l’église après sa destruction par les Anglais pendant la guerre de Cent ans ?
(4) J’estime à environ 38, le nombre de dalles funéraires en l’église de Précy. En dehors de celles que nous signalons dans cet article, elles sont toutes usées et donc illisibles.
(5) Ces colonnes ont des rainures, un chapiteau à volutes surmonté d’une architrave mais sans frise ni cor,-fiche. Les bases sont allongées et décorées de feuilles. Elles mêmes reposent sur un piédestal dont le tronc est décoré de cieux tibias croisés sur une fleur de lys, et prend congé sur une nouvelle base de socle.
(6) Litre : large bande noire qu’on peignait tout autour sur les murs à l’intérieur de l’église lors des obsèques d’un grand personnage et sur laquelle figurent les armoiries du défunt. Beaucoup ont été effacées lors de la Révolution française.