Fils d’un instituteur devenu directeur d’école normale, Gabriel Fauré suit dès l’âge de 9 ans les cours de l’école de musique fondée en 1853 par Louis Niedermeyer. Elève et ami de Saint-Saëns qui lui fait découvrir Schumann, Liszt, Wagner, c’est comme organiste que Fauré fait ses débuts à Rennes (1866). Après la guerre de 1870, on Ie retrouve titulaire à Saint-Honoré d’Eylau, et il participera à la fondation de la Société nationale de musique. Il est nommé en 1877 maître de chapelle à la Madeleine.
Parallèlement, il est un hôte apprécié des salons parisiens où son caractère, ses qualités pianistiques et d’improvisation font merveille : En 1892, Fauré est nommé inspecteur des Conservatoires : en 1896, il est titulaire du grand orgue de la Madeleine, puis succède à Massenet comme professeur de composition au Conservatoire, où il comptera de nombreux et prestigieux élèves : Florent Schmitt, Charles Koechlin, Nadia Boulanger, Maurice Ravel.
Malgré une surdité qui devient quasi-totale, il est le Directeur du Conservatoire en 1905. En 1909, c’est l’Institut (Académie des Beaux Arts) qui l’accueille en son sein. C’est un homme au faîte de la gloire qui s’éteint en 1924, et à qui la patrie reconnaissante accorde l’ultime honneur des obsèques nationales.
Le nom de Fauré est indissociablement lié aux mélodies, aux pièces pour piano et à la musique de chambre dont il est le véritable créateur en France. Mélodiste de tout premier plan, sa musique se marie remarquablement aux poèmes de Verlaine, Hugo, Armand Silvestre… Ses pièces pour piano, sa contribution majeure à la musique de chambre (Quatuors pour piano et cordes, sonates pour piano et violon…), son célèbre Requiem (1887) le placent aux cotés d’un Debussy et d’un Ravel parmi les grands compositeurs qui régénérèrent la musique française au tournant du siècle.
Gabriel Fauré venait régulièrement à Précy chez ses amis Henneguy de la rue Saint-Germer.
Le dimanche après les vêpres, Gabriel Fauré restait de temps en temps en l’église de Précy pour y jouer de l’orgue pour ses amis. Marie-Louise Pironnet, pianiste, « Tante Lou-Lou » pour les intimes, était de ceux-là. Elle était la tante de Madame Marcelle Collet et tenait l’orgue à la messe du Dimanche. Gabriel Fauré a écrit un morceau d’orgue pour elle.
Surtout connu pour son Requiem (1887) qui évoque la paix de la mort, il composa également de la musique de scène pour » Pelléas et Mélisande » de Maeterlinck et en tira une suite de concert dans laquelle il engloba la charmante » Sicilienne » op.78 pour violoncelle et le magnifique » Adagio » annonçant la mort de Mélisande.
Ses » Quatuors » et » Berceuses » pour violon et piano ainsi que le recueil de chansons sur des textes de Paul Verlaine parlent de ses remarquables talents musicaux.
(Propos recueillis auprès de Madame Henneguy et Madame Collet)
Les lettres de Gabriel FAURÉ, en particulier celles adressées à son fils Emmanuel FAURÉ-FRÉMIET et à sa belle-fille Jeanne HENNEGUY de Précy, jettent une lumière sur l’intimité familiale de l’artiste. A un moment donné de la guerre 14-18, son fils et sa belle-fille Jeanne HENNEGUY avaient fui Paris et séjournaient alors à Précy chez les parents HENNEGUY, rue Saint Germer. Invité par Madame HENNEGUY mère pour aller dîner à Précy, Gabriel FAURÉ écrit à sa belle-fille :
« Ma chère Jeanne,
Quel soir vos parents veulent-ils bien compter sur moi pour dîner ? Je vous avais proposé vendredi… si le choix n’est pas encore fait, je vous demanderai de me laisser reprendre lundi. Excepté ce soir là, tous les autres restent à la disposition de Madame Henneguy.
Voici deux fauteuils pour demain soir si le froid ne vous fait pas peur
Je vous embrasse, Emmanuel et vous, bien tendrement.
Gabriel Fauré »
Dans une lettre datée du 17 avril 1916 où il parle d’une invitation à venir déjeuner, il écrit :
« Ma chère Jeanne,
Je ne me souviens plus si nous étions convenus, pour que je vienne déjeuner le jeudi prochain ou le jeudi suivant ? Choisissez car je pourrai venir l’un et l’autre jour. Votre maman a souffert beaucoup avant-hier et hier de cruelles crampes : elle était extrêmement abattue. Elle va mieux, un peu, aujourd’hui. De Philippe, nous avons reçu un petit mot hier, 16, le matin, matin daté du 10. Il allait bien. J’espère que vous avez de bonnes nouvelles de Précy.
Je vous embrasse tous les deux, bien tendrement.
Gabriel Fauré »
Dans ses lettres à ses enfants, il parle rarement de sa musique ou de ses relations pourtant nombreuses avec les musiciens de son époque. Il parle de son « admiration pour son ancien professeur Camille Saint-Saëns » de « la préciosité des mélodies de Massenet » à qui il succéda en 1896 au Conservatoire de Paris dont il devint directeur en 1905. De son élève Maurice Ravel, il prédit un brillant avenir. Apprenant que son fils Emmanuel fait écouter du Wagner au Collège de France, il écrit à sa belle-fille, Jeanne HENNEGUY :
« Comment Emmanuel ose-t-il faire retentir la rue des Écoles de sonorités affreux ! » [ … affreuses]
D’où qu’il écrit : Paris, Évian-les-Bains, Toulon, Pau, Toulouse, Annecy, l’Abbaye de Valloires … il termine souvent ses lettres par un petit mot pour les HENNEGUY de Précy.
A propos de la destruction du Pont de Précy et de l’avancée des Allemands, il écrit :
« Je suis consterné par ce qui arrive à Précy et m’inquiète de la santé de vos parents après une terrible émotion. Dites-moi vite comment ils vont tous. Et cette pauvre blessée ? J’ai quitté Paris pas bien portant. J’ai dû m’aliter dès mon arrivée [Évian] ici en descendant du train. Je vais mieux, mais je reste faible, accablé… Je somnole toute la journée. Le médecin qui m’a très attentivement examiné, assure que je n’ai rien sinon une faiblesse générale dont un repos absolu viendra à bout.
Donnez-moi bientôt de vos nouvelles et de Monsieur et Madame HENNEGUY et de Suzanne. »
Pendant la guerre 14-18, Gabriel FAURÉ exprime souvent son inquiétude pour son fils Philippe qui est à l’armée. En convalescence à Évian il écrit :
« Evian, 27/7/16
Mes chers enfants,
Je vous remercie tous deux de me donner des nouvelles. Ne soyez pas inquiets de moi. Je vais mieux chaque jour et l’essoufflement est toujours en décroissance. Quant au travail, je le mène très en douceur, je vous l’assure. J’ai reçu hier, 26, une petite lettre de Philippe du 20. Il veut certainement me tranquilliser en m’assurant qu’ils sont là-bas au calme ! Ça, Dieu le veuille ! Mais de votre maman je n’ai rien reçu depuis fort longtemps. J’ai peur qu’elle ne veuille rentrer à Paris prématurément. Les nouvelles de la guerre sont très belles, mais il faut cependant ne rien précipiter.
Heureux d’apprendre que vos parents iront bientôt au Croisic. Je voudrais espérer que vous irez aussi tous les deux ! Emmanuel n’a-t-il pas droit à un nouveau congé ?
Je vous embrasse tendrement.
Gabriel Fauré »
« Évian, mardi 16 juillet 1916
Je vais mieux. Depuis deux jours je sors un peu en voiture et ces petites promenades me font grand bien. Je n’ai pas encore reçu de nouvelles de votre maman. Les départements frontière sont maltraités par la poste ! ... »
Soucieux de la santé de ses enfants, il insiste pour qu’ils se soignent :
« ...Il est important que vous puissiez aller respirer un air plus sain que celui de Paris … Il faut que vous profitiez tous les deux pour aller un peu près de vos parents au Croisic… »
D’Évian où il se soigne après une forte bronchite, Gabriel FAURÉ écrit le 17 juillet 1918 :
« Mes chers enfants,
Quand je vous écrivais hier, je ne savais rien encore de la reprise des bombardements ! Et me voilà très tourmenté pour vous tous. Je vous demande donc de m’envoyer souvent quelques lignes. Nous sommes bien moins rapidement informés qu’il y a deux ans, lorsque le service des bateaux fonctionnait [sur le lac d’Annecy]. Nous dépendons maintenant de la poste de Paris qui nous apporte les journaux avec cinq ou six jours de retard !
Je vous embrasse de tout cœur et je pense bien à vous.
Ne va-t-on pas transférer vos travaux à Grignon ?
Toujours sans nouvelles de votre maman ! »
En 1918, après une période de découragement et d’écœurement provoquée par les critiques d’art, il écrit à sa chère belle-fille Jeanne :
« Ma chère Jeanne,
Voulez-vous demander à votre père s’il lui serait possible de m’envoyer les conditions d’admission à l’École de Grignon et le programme de 1919 ? Je lâche la musique et veux m’adonner corps et âme, s’il n’est pas trop tard, à l’étude des engrais !... »
Quand il découvre les toiles et les talents de son fils Emmanuel pour la peinture, il en est ravi et l’encourage vivement de « développer ce violon d’Ingres ». Il est vrai que le gène artistique était présent dans la famille. Son grand-père maternel était le sculpteur Emmanuel FRÉMIET : il était l’élève et le neveu de François RUDE, le pas moins célèbre sculpteur à qui on doit la Marseillaise de l’Arc de Triomphe à Paris.
Une lettre qui retient particulièrement l’attention est celle que Madame Gabriel FAURÉ adresse à son fils Emmanuel FAURÉ-FRÉMIET et à sa belle-fille Jeanne HENNEGUY. Laissant libre cours à ses sentiments, elle montre à quel point elle voulait sauver les apparences alors que tout le milieu des artistes savait que son mari avait une maîtresse et que son couple battait de l’aile.
Madame FAURÉ semble ressentir ce fameux « REQUIEM » et cette invitation d’y assister comme l’annonce d’un enterrement.
« Samedi 28 mars 1923
Mes chers enfants
On m’envoie 2 places baignoire 6, pour demain 15 H. Ce n’est pas ce que je désirais, enfin ! Il faut s’en arranger.
Philippe me dit que c’est Emmanuel qui viendra, mais si c’est Jeanne, je l’embrasserai en l’abordant, ce que je ne ferai pas pour Emmanuel, mais en partant je ne dirai rien. Voilà ce que je désire : que celui qui viendra, arrive un quart d’heure avant le concert et m’attende dans l’endroit où on montre ses billets (le papier est seul pour deux) et il y a à payer 2s50 — il faut donc que nous soyons ensemble. Ensuite qu’on me parle jusqu’au moment où commencera le REQUIEM, mais alors qu’on m’oublie. On m’aura laissée prendre la place que je veux : dans le fond devant la porte. Je partirai après le REQUIEM et je demande :
Qu’on ne me parle pas,
Qu’on ne me regarde pas,
Qu’on ne m’aide pas,
Qu’on ne m’ouvre pas la porte.
Je VEUX emporter ce REQUIEM dans le silence et la solitude de ma pensée. Je garderai ma voiture pour y monter sans parler et revenir ici sans parler.
Pour mon excuse de cette sauvagerie, qui ne touche en rien à mon affection maternelle, j’ai à citer une phrase de Barrès : La solitude embellit tout… pour goûter une émotion profonde il faut être seul. Je ne suis donc pas seule à avoir besoin de faire taire Tante Anna.
A demain l’un ou l’autre mes chéris et merci pour la carte d’hier, elle m’a bien amusée. Je vous embrasse tendrement.
Maman »
Le 2 août 1924, peu de temps avant sa mort, Gabriel FAURÉ se soucie du voyage et de l’installation à un nouveau domicile de ses enfants. Il écrit :
« ...Il me tarde d’avoir des nouvelles du voyage et de l’installation. Comment vous portez-vous tous ? Madame HENNEGUY n’est-elle pas trop fatiguée pour tout ce que comportent les départs et les arrivées ? Ici, tout va assez bien étant donné la crise intérieure dont on nous évite le plus possible les contrecoups. Je travaille un peu et ma santé ne laisse pas à désirer : très grand appétit à midi, quasi diète le soir, d’où assez bon sommeil.
Je vous embrasse tous de tout cœur et réclame des nouvelles.
Gabriel FAURÉ
Le Monsieur des » Essais sur la musique » il faut le tuer ! ... »
Ces extraits glanés dans les lettres de Gabriel FAURÉ témoignent de son attachement pour ses amis de Précy.
En souvenir d’une merveilleuse après-midi chez Monsieur et Madame Jean GUILLOT-HENNEGUY à Précy où nous avons longuement évoqué des souvenirs en présence du moulage en plâtre que fit FRÉMIET de son gendre, Gabriel FAURÉ.
Ils m’ont aimablement confié les lettres de Gabriel FAURÉ pour que je les étudie.
Je les remercie vivement pour cette contribution à l’Histoire de Précy. Qu’ils veuillent par cet article trouver toute ma gratitude.
Gabriel FAURÉ (1845-1924), musicien, était marié (1883) avec Marie FRÉMIET, une des filles du sculpteur Emmanuel FRÉMIET (1824-1910), auteur de la célèbre statue équestre de Jeanne d’Arc à Paris.
Emmanuel FRÉMIET était l’élève et le neveu de François RUDE, sculpteur (1784-1855) connu pour la Marseillaise de l’Arc de Triomphe à Paris
Le fils de Gabriel FAURÉ, du nom d’Emmanuel FAURÉ-FRÉMIET, était préparateur au Collège de France. Il était marié à Jeanne HENNEGUY de Précy. Il avait des talents de peintre et habitait 9, rue Thenard Paris V°.
Jeanne HENNEGUY était la fille de Félix HENNEGUY de Précy, qui était marié avec Catherine PROUDHON, fille du célèbre anarchiste, Pierre-Joseph PROUDHON (1809 – 1865), auteur de « La Philosophie de la misère » (1846) et de « Idée générale de la Révolution du XIXème siècle » (1851), adversaire de Karl MARX et promoteur du Fédéralisme politique et économique.
Le deuxième fils de Gabriel FAURÉ s’appelle Philippe. Il était à l’armée.