Au cours des siècles, Précy a eu des visiteurs illustres. Le roi Charles VI n’est-il pas venu lui-même en personne, tenir le fils de Philippe de Précy, sur les fonts baptismaux ?.
Ronsard et Montaigne sont descendus au château et le Duc d’Enghien y trouva refuge. Mais c’est sans doute le XIXème siècle qui nous fournit le plus de renseignements. Précy semble à ce moment là avoir été un lieu privilégié où la qualité de vie attirait les bourgeois et les artistes de Paris.
L’un d’eux écrit en 1853 :
« Savez vous qu’il est sur terre / Un lieu que le ciel révère, / Un lieu des hommes chéri / Au bord de l’Oise, fleuri ? …
Dans ce pays, Dieu lui-même, / De son Paradis qu’Il aime / Descendrait, je gage, aussi, / Pour y vivre sans souci ; / Et vous devinez vous-même / Que ce pays : c’est Précy «
C’est ainsi que Précy fut pendant quelques années un lieu de repos et de villégiature très aimé par Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), écrivain et fameux critique littéraire du XIXème siècle français. Celui-ci vint régulièrement y retrouver son ami Viguier, ancien inspecteur général de l’Université, qui mourut à Précy en 1867.
On sait par ailleurs que Madame Pellegrin – de son nom de jeune fille, Marie-Alexandrine Laureau – l’accueillait en 1832 en sa propriété « Le Clos » sise dans l’actuelle rue Gaston Wateau à Précy.
En 1834, la fille de Madame Pellegrin, âgée de 19 ans et demi, épousa Alexandre Gaillard, inspecteur général des Etudes, demeurant à Paris n°20 rue de Vaugirard. Leur fils Gaston Gaillard, né à Paris le 21 juin 1839, fut baptisé à Précy, le 3 septembre 1839. La marraine qui signe « M.A. Laureau », n’était autre que sa grand-mère maternelle, Madame veuve Pellegrin. Le parrain était Maître Auguste-Louis Gaillard demeurant à Lyon. Alexandrine-Pétronille, dame Gaston Gaillard, mourut à Précy, munie des sacrements de l’Eglise, et fut inhumée au cimetière de Précy le 10 septembre 1876. Elle avait 71 ans.
Sainte-Beuve, qui était resté très lié à Maître Gaillard son ancien professeur au Collège Bourbon trouva ainsi une raison de plus de venir à Précy. Entre temps, Madame Pellegrin, devenue belle-mère de Gaillard, reçut Sainte-Beuve et se lia d’amitié avec Madame Sainte-Beuve mère.
Un jour que la fille de Madame Pellegrin se trouvait à Précy en même temps que Sainte-Beuve, elle le pria de lui rimer une épitaphe. Sainte-Beuve lui fit un sonnet, le premier d’une longue série de poésies de vers composés à Précy, qui forment une grande partie de son recueil des « Pensées d’août », publiées en 1837 à Paris. Le recueil commence par le poème dédié à Alexandrine-Pétronille Gaillard-Pellegrin.
Pensée d’août
« Assis sur le versant des coteaux modérés
D’où l’œil domine l’Oise et s’étend sur les prés ;
Avant le soir, après la chaleur trop brûlante,
A cette heure d’été déjà plus tiède et lente ;
Au doux chant, mais déjà moins nombreux des oiseaux
En bas voyant glisser si paisibles les eaux,
Et la plaine brillante avec des places d’ombres,
Et les seuls peupliers coupant de rideaux sombres,
L’intervalle riant, les marais embellis
Qui vont vers Gouvieux finir au bois du Lys… »
C’est à Précy que Sainte-Beuve rédigea « Les causeries du Lundi ». En 1835, il emportait tous ses livres et notes sur Port-Royal pour y travailler à Précy dans le calme poétique de la demeure du Clos où il avait sa chambre attitrée. Il rentrait tous les quinze jours à Paris faire provision de textes, livres et revues sur Port-Royal. Son « Port-Royal », un véritable monument, sera l’œuvre de presque toute une vie de recherches. Bien des chapitres ont été rédigés à Précy.
C’est encore chez Madame Pellegrin, qui aimait les salons littéraires, que Sainte-Beuve rencontra Alfred de Vigny qu’il devait critiquer sournoisement dans la « Revue des deux Mondes » et dans ses « Portraits Contemporains ». Le poète prit alors ses distances avec lui. Malgré cela, les poètes Alfred de Vigny et Alfred de Musset se sont plusieurs fois retrouvés avec Sainte-Beuve chez Madame Pellegrin. Ils aimaient flâner dans le village et le long des berges de l’Oise. L’église du village n’avait pas de secret pour eux. Le pieux Alfred de Vigny, à la réputation de conservateur religieux, aimait s’y recueillir malgré ses aventures amoureuses. Sainte-Beuve par contre y venait plutôt en touriste, curieux d’histoire locale. Le tonnelier, habitant la « rue pavée » en face de l’église, l’a vu maintes fois en conversation animée avec le curé d’alors, l’abbé Decaux.
Les gravures de l’époque le représentent comme un homme bedonnant, de taille moyenne, les yeux fouineurs et la mine bonasse. Il porte une redingote noire et un nœud papillon de même couleur, un gilet marron dans le gousset duquel plonge l’extrémité d’un lacet noir qui descend du cou et retient sans doute son monocle.
Les anciens du pays racontent que l’œil-de-bœuf de la maison du Clos donnant sur le clocher de l’église est celui d’où le poète Alfred de Musset vit « la lune comme un point sur un i » sur le clocher de Précy endormi.
Alfred de Musset revint à Précy en compagnie de George Sand.
Celle-ci a connu Sainte-Beuve en janvier 1833. C’est au cours d’un dîner, probablement un soir du mois de juin 1833, que Sainte-Beuve avait organisé pour réunir ses collaborateurs de la « Revue des deux-Mondes », qu’Alfred de Musset et George Sand, tous deux associés à la Revue, se sont trouvés placés l’un auprès de l’autre. On sait que George Sand avait fait de Sainte-Beuve son « confident » qu’elle appelle aussi son « confesseur ». Elle lui avait écrit qu’elle ne voulait pas de Musset pour succéder à Jules Sandeau comme rédacteur à la Revue, mais il fut avec elle « spirituel et charmant comme il savait l’être ». A la fin de la soirée, ils étaient amis. Ils s’écrivirent. Ils se revirent. L’amitié devint amour fougueux.
Tout porte à croire que le passage de George Sand avec Alfred Musset à Précy s’explique dans le contexte des séjours de Sainte-Beuve dans le domaine du Clos. Quand la grande amoureuse infidèle trahit le poète, celui-ci révéla dans son poème le « Souvenir » quel trésor de bonheur recèle un amour détruit. Il dira que la Muse, plus fidèle qu’une femme, est la seule qui compte désormais à ses yeux. En souvenir de cet événement, Précy a baptisé son école maternelle : « Ecole George Sand ».
L’écrivain anglais, Robert-Louis Stevenson vint lui-aussi à Précy. Il aimait beaucoup voyager. En 1876, il fit, en canoë, par l’Escaut, le canal de Willebroecke, la Sambre et l’Oise, un voyage d’Anvers à Paris. C’est ainsi qu’après la visite de Noyon, Compiègne, Pont-Sainte-Maxence et Creil, il débarqua un beau soir d’été à Précy dont la petite plage avait alors une certaine renommée dans la région.
Il écrit : « Nous sommes arrivés à Précy au coucher du soleil. La plaine est semée de nombreuses touffes de peupliers. Dans une courbe sauvage et lumineuse, l’Oise coule sous le flanc de la colline. Un faible brouillard se levait et confondait les différentes distances. On n’entendait pas un son, sauf celui des clochettes des moutons dans quelques prairies près de la rivière et le craquement d’un chariot le long de la route qui descend de la colline. Les villas dans leurs jardins, les boutiques le long de la rue, tout semblait avoir été déserté la veille et je me sentais porté dans une forêt silencieuse.
Tout à coup nous tournâmes un coin de rue et nous aperçumes devant nous une petite place gazonnée autour de l’église, où un essaim de jeunes filles vêtues à la mode de Paris jouaient au croquet. Leurs rires et le bruit mat de la balle sous le maillet créaient une joyeuse animation dans le voisinage ; l’allure de ces silhouettes élancées, corsetées et enrubannées produisait dans nos coeurs un trouble proportionné au charme du tableau.
Nous respirions, semblait-il, l’atmosphère de Paris. Ici il y avait des femmes de notre monde, jouant au croquet, comme si Précy faisait partie de notre vie réelle au lieu de ne constituer qu’une scène dans la féerie de notre voyage. Après n’avoir vu partout ailleurs qu’une succession de paysannes, femmes en jupon et bêchant et sarclant et cuisinant, cette troupe de coquettes sous les ormes mettait une note nouvelle et surprenante au paysage ».
Aujourd’hui, le centre du bourg a été réaménagé, mais les urbanistes ont su conserver le caractère champêtre et poétique du site. Une fontaine qui chante dans le silence des nuits d’été, des réverbères et lanternes romantiques sur crosse, et les vieux pavés judicieusement choisis, baignent dans le parfum qu’exhalent les tilleuls de la place. Une cinquantaine de pigeons tournoient dans le ciel autour du clocher qui abrite une effraie blanche au vol majestueux. Pour qui sait ouvrir les yeux et savourer ce qui est simple et beau, Précy reste encore un petit coin privilégié.
Cet article sur les gens de lettres à Précy a été publié par le GEMOB (Groupement d’Etudes des Oeuvres d’Art de l’Oise et du Beauvaisis), dans un de ses bulletins consacrés à l’histoire de notre région.