SAINTE BEUVE A PRÉCY

Sainte-Beuve


Dans l’extraordinaire galerie des écrivains du 19ème siècle, Sainte Beuve incarne le personnage du solitaire triste, non expansif, sans lyrisme, l’ami des livres et des textes, peut-être ses seuls amis véritables.
Petit homme toujours coiffé d’une calotte noire, l’air malicieux et chafoin, tel est son portrait fixé par l’objectif de Nadar.
Admirateur de Victor Hugo dont la femme Adèle devint pendant quelques années sa maîtresse, Sainte Beuve a vécu à une époque où  » la vie intérieure  » n’avait que peu d’adeptes, tellement la religion laïque avait bousculé les mentalités depuis la sortie de la Révolution et la Terreur.

« Le Clos » à Précy

Toute sa vie l’a pour ainsi dire conditionné.
Né à Boulogne sur mer le 23 Décembre 1804 dans une famille bourgeoise Picarde, ayant abandonné la particule nobiliaire qui lui avait été accordée au 18ème siècle, Charles Augustin Sainte Beuve grandit entre sa mère et sa tante, femmes pieuses qui entretenaient sans faillir le souvenir du père décédé quelques semaines avant sa naissance. Ces années empreintes de tristesse prennent fin lorsqu’à quatorze ans il arrive à Paris où il poursuit des études classiques. On l’a dit élève studieux, appliqué, brillant, précoce, très tôt lecteur passionné de Chateaubriand et de Lamartine. A vingt ans il publie ses premiers articles de critique littéraire dans  » Le Globe « , l’organe militant du mouvement romantique littéraire. Son enthousiasme et son talent lui vaudront d’intégrer  » Le Cénacle  » où il est dans la mouvance de Victor Hugo. Il n’écrira qu’un seul roman :  » Volupté  » marqué par l’amitié et l’attachement qu’il éprouvait pour l’Abbé de Lamenais qu’un Pape souhaita faire cardinal et que le successeur condamna. Le prophétique Lamenais qui voulait ancrer l’Église dans la modernité, avait une liberté de pensée qui forçait l’admiration tant elle était nuancée. Il refusa le Concordat de 1801 qui fait du Clergé un corps de fonctionnaires soumis à l’État indifférent en matière de religion.
Il préconise la séparation de l’Église et de l’État. L’Épiscopat Français était alors majoritairement Gallican et finit par avoir sa peau. Quand on est jeune, on a souvent tort d’avoir raison trop tôt. En 1833, il écrira :  » J’ai cherché uniquement le triomphe de la vérité… Mes combats pour l’Église sont finis. D’autres pourront les défendre avec plus de talent et plus de bonheur, mais non pas avec plus de Conscience. « 

Marcel Proust en 1900

Cette fidélité aux droits de la conscience fascinait Sainte Beuve. En octobre 1837 et juin 1838, suite à sa rupture avec Victor Hugo, on le retrouve à Lausanne où il donne une série de conférences sur l’Histoire de Port-Royal, qui seront à l’origine de cette oeuvre monumentale qu’il rédigera en grande partie à Précy, à la maison  » Le Clos  » où il avait ramené les divers éléments et matériaux pour travailler dans le silence et la poésie de cette belle demeure où tout porte au recueillement.
Il avoue travailler quinze heures par jour et ne pas voir passer le temps. Il est tellement passionné par le sujet qu’il n’a de goût pour rien d’autre. Sainte Beuve connaissait assez l’âme humaine pour savoir que ce n’est pas parce qu’on se met à genoux devant un crucifix qu’on est chrétien. En fréquentant les Jansénistes : Saint Cyran, Arnauld, Nicole et surtout Monsieur Hamon aux pieds duquel Racine souhaitait être enterré, Sainte Beuve prend le goût de l’austère et surtout du perpétuel examen de conscience. Son admiration pour les solitaires de Port-Royal et en particulier pour Pascal qui écrit que  »  la Foi se cultive à genoux « , expliquent en grande partie sa quête de lucidité et de simplicité.

Gustave Flaubert

C’est d’eux qu’il tient cette grammaire du simple, épicentre d’une expression spirituelle de soi dont se souviendront plus tard, Mauriac, Cababis, Léautaud et tant d’autres.
Marcel Proust avouait l’avoir hypocritement dédaigné alors qu’il le dévorait en cachette. Cet homme aimait les livres, avait ignoré Stendhal, critiqué vertement de Vigny, Balzac, Flaubert…
Pourtant quand à 65 ans il meurt à Paris en 1869, Flaubert écrit :  » Avec qui causer de littérature maintenant ? Celui-là l’aimait… Tout ce qui en France tient une plume, fait en lui une perte irréparable « .