Ce tableau de l’Ecole Française, représentant « l’Investiture de saint Pierre » a été peint par un anonyme à la fin du XVIIème siècle. Il fait partie des Objets d’Art classés du département de l’Oise (1).
C’est à ce titre qu’il vient d’être restauré par Alain Bouchardon, artiste-peintre à Senlis, agréé, par le Ministère de la Culture. Il a retrouvé sa place dans le baptistère de l’Eglise de Précy où il se trouvait avant la Révolution Française.
Ce thème de l’investiture de Pierre revient fréquemment dans l’iconographie chrétienne à la fin du XVIIème siècle et au XVIIIème siècle. Il s’inscrit dans le contexte du Gallicanisme qui ne considérait pas l’infaillibilité pontificale comme une vérité révélée telle qu’elle sera définie plus tard par le Concile Vatican I (1870).
Pour comprendre le tableau il faut le situer dans son cadre historique qui est celui de la Régale ; une période quis étend de 1673 à 1693. Selon le droit, le roi pouvait, durant la vacance d’un siège épiscopal, percevoir les revenus d’un diocèse (régale temporelle) et nommer à tous les bénéfices dont la collation appartenait à l’évêque (régale spirituelle). Il y avait là une compensation reconnue pour la part du fief royal octroyée à certains évêchés. Le deuxième Concile général de Lyon avait en 1274 formellement interdit d’introduire la régale là où elle n’existait pas. Les prédécesseurs de Louis XIV ont toujours respecté ce droit de l’Eglise. Les rois de France n’avaient même jamais usé de leurs droits en Provence, en Guyenne, en Languedoc ou en Dauphiné. Louis XIV en revanche voulut étendre son droit de régale à la France entière. Il chargea son ministre Colbert d’établir dans un factum que le roi comme tout seigneur a le droit de s’approprier les revenus d’un fief de sa mouvance jusqu’à ce que le titulaire eût prêté hommage et que tel était le cas des évêchés vacants.
Une déclaration de 1673 étendit la régale à tout le royaume. Le roi comptait sur l’adhésion tacite de l’épiscopat. Issus de la noblesse la plupart des évêques lui devaient leur nomination alors que beaucoup n’avaient pas la vocation ou étaient dépourvus des qualités requises pour être évêque. Les évêques Pavillon d’Alet et Caulet de Pamiers qui avaient beaucoup souffert de la part du roi dans l’affaire du Jansénisme, protestèrent violemment et en appelèrent au Pape Innocent XI.
Ce dernier prit la défense clés « pieux Jansénistes », « anarchistes » justement opposants. Mgr. Pavillon mourut mais l’évêque de Pamiers reprit le flambeau et continua la résistance avec acharnement.
Louis XIV fit saisir son temporel par l’intendant Foucault : « Sire, écrivait le vieillard, on ne m’a pas laissé les choses les plus nécessaires à la vie, lesquelles on ne refuse pas aux plus criminels ».
Le 7 août 1680, le saint évêque Janséniste de Pamiers mourut à son tour. Madame de Sévigné écrivait alors « Voilà l’affaire de la régale finie … ». C’était mal connaître le Pape Innocent XI (1676-1689). Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomma « le saint opiniâtre ». Par trois fois, il somma Louis XIV. Son troisième bref contenait une menace non déguisée : « Nous ne traiterons plus cette affaire par lettres, mais aussi nous ne négligerons pas les remèdes que la puissance dont Dieu nous a revêtu met entre nos mains ». Le roi sut lire entre les lignes mais l’Assemblée générale du Clergé exprima au roi : « son extrême déplaisir de la lettre pontificale » et se déclara « liée à sa Majesté par des liens que rien ne serait capable de briser ». Une assemblée générale du Clergé fut convoquée en 1682.
Elle fut recrutée avec une partialité révoltante. On n’y comptait que 34 évêques et 37 députés du bas clergé. Deux hommes menèrent le débat. François de Harlay, archevêque (le Paris, s’afficha fougueusement. Gallican alors que Bossuet, évêque de Meaux, se prononça en faveur de l’Unité de l’Eglise. Finalement Bossuet, résigné à l’inévitable, rédigea une Déclaration du 19 mars 1682, affirmant que les rois et les souverains, ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l’Ordre de Dieu dans les choses temporelles. On y déclara les fameux « quatre articles de 1682 », véritable charte des prétentions gallicanes que l’on peut résumer ainsi ; 1° le pape n’a aucun droit sur le temporel du royaume. 2° au spirituel, suivant les décrets de Constance, le Concile oecuménique et supérieur au Pape, 3° aussi l’autorité pontificale ne doit-elle s’exercer que conformément aux canons des conciles et même aux usages de l’Eglise-Gallicane. 4° Son jugement ne devient donc irréformable qu’après consentement de l’Eglise.
La réponse du Pape ne se fit pas attendre. L’irréductible Innocent XI refusa la confirmation canonique et donc l’investiture à tout ancien membre de l’Assemblée de 1682 que le roi nommerait à un évêché. Ce fut la panique. En 1687, trente-trois diocèses se trouvaient sans évêque à défaut d’investiture. Louis XIV fut excommunié. On lui conseilla une nouvelle Assemblée générale du Clergé. Il se laissa prendre dans le filet de la politique de résistance. L’occasion lui en fut donnée avec le droit d’asile du Palais des Ambassadeurs à Rome. On y jouissait d’un droit d’asile abusif : « les franchises étaient devenues le plus sérieux obstacle à la pacification et à la moralisation publique ».
Le Pape obtint des souverains de l’Europe qu’elles fussent réduites. Louis XIV ne voulut pas. Son nouvel ambassadeur s’installa au Palais Farnèse avec deux cents hommes. Frappé d’anathème, il s’en moqua et alla communier en grande pompe à Saint-Louis-des-François tandis que le Parlement prononçait une fois de plus la confiscation d’Avignon et du Comtat (1688). Il faudra attendre la mort d’Innocent XI pour que son successeur Alexandre VIII ne refuse plus l’investiture ou confirmation canonique aux candidats signataires des « Quatre articles », mais il exigeait d’eux une déclaration écrite, spécifiant qu’ils n’avaient prétendu émettre au sujet des droits du pape, qu’une opinion toute personnelle. Les intéressés ne demandaient que cela et Louis XIV en fut réduit à prier Dieu de « toucher le coeur endurci » du pape.
A la veille de sa mort, Alexandre VIII publiait la bulle « Inter Multiplices » (1690) où il condamnait formellement les « Quatre articles » et annulait l’extension de la régale. Il fallut encore deux ans pour que Louis XIV réalise ce que signifiait la vacance de plus de, quarante sièges épiscopaux de France. Il céda la mort dans l’âme.
« Je suis bien aise de faire savoir à votre Sainteté, écrit-il, le 14 septembre 1693 que j’ai donné les ordres nécessaires pour que les choses contenues dans mon édit du 22 mars 1682, touchant la déclaration faite par le Clergé de France, à quoi les conjonctures passées m’avaient obligé, ne soient pas observées ». Il reconnut ainsi son erreur et celle du clergé Gallican.
Les évêques nommés depuis 1682 mais qui n’avaient pas reçu l’investiture canonique du Pape signèrent alors la rétractation suivante : « Nous professons et nous déclarons que nous sommes extrêmement fâchés de ce qui s’est passé dans l’assemblée susdite (de 1682) qui a souverainement déplu à sa sainteté et à ses prédécesseurs. Ainsi tout ce qui a pu être ordonné dans cette assemblée contre la puissance ecclésiastique et l’autorité pontificale, nous le tenons et nous déclarons qu’on doit le tenir pour non ordonné… »
La juridiction spirituelle du Clergé sortit victorieuse mais sa juridiction temporelle touchait à sa fin. Les lois de la séparation de l’Église et de l’État (1905) en seront la conclusion.
Comme nous venons de le décrire, ces événements hauts en couleurs indignaient bon nombre de chrétiens attachés à l’autorité Papale.
Les artistes exploitaient ces événements et faisaient la leçon au roi à travers leurs œuvres ; La Fontaine clans ses Fables (les Animaux de la Forêt), Molière dans ses comédies, Racine dans ses tragédies (Athalie), les peintres avec leurs toiles.
Le tableau de Précy en est un exemple. Comme les Condé et leurs familiers, connus pour leur opposition au Roi, fréquentaient les Seigneurs de Précy, il n’est pas étonnant de trouver en l’église de Précy, un tableau qui à sa manière rappelle que le Christ n’a pas confié l’autorité spirituelle au Roi, fut-il de droit divin, mais à Pierre.
La remise des clefs signifie la remise d’un pouvoir et exprime la confiance accordée à Pierre. Le tableau évoque un passage de l’évangile selon saint Mathieu : « Tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église et la puissance de la mort n’aura pas de force contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux .- tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux » (Math- XVI 18-19).
L’artiste a sans doute choisi le jaune or pour faire briller Pierre de tous ses éclats, alors que Jean peint en rouge exprime l’amour ardent du Seigneur qu’il a souvent traité dans ses écrits. Jacques est peint en vert. Nous retrouvons ainsi la trilogie du bleu, rouge et vert, cher aux peintres Flamands. Le violet-parme du Christ signifie la Sagesse, et le manteau bleu la royauté. La toile trahit également l’influence italienne qui traversait l’École Française du XVIIème siècle.
(1) C’est grâce à l’intervention de Madame Pierrette Bonnet-Laborderie, conservateur des antiquités et objets d’art de l’Oise, que le tableau fut classé par arrêté le 31 décembre 1984
(2) Ce tableau est une copie de « La remise des clefs à Pierre » par Guido Reni, inventaire du Louvre n°526 à Paris