MES SOUVENIRS DU " CLOS "


Ferme de l'OutreleauLes anciens de Précy m'ont raconté que lorsque les Chantepie-Sturel habitaient "le Clos" ils avaient deux grands garçons qui allaient souvent se baigner dans l'Oise. Il y avait alors une petite plage sablonneuse aménagée au bord de la ferme d'Outreleau. Un jour, un des adolescents fit un plongeon du haut du pont de Précy. Il rata son coup, se blessa et fut conduit à l'hôpital où le chirurgien lui enleva en urgence un rein. Il constata par la suite que le jeune homme n'avait qu'un seul rein. Il mourut. La famille vendit alors la maison.
Madame Paul Cavalière et Monsieur Jean Lefèvre acquirent la maison pour en faire leur habitation principale tout en gardant leur appartement à Paris où Madame avait un magasin d'antiquités et où son compagnon, le comédien Jean Lefèvre, exerçait sa profession.
Academie royale LondresMadame Cavalière était une femme remarquable, un genre de George Sand en miniature. Elle se plaisait à flâner seule dans le parc. Son compagnon ne revenait que les fins de semaine à cause de sa profession à Paris. Elle appréciait cette forme de solitude. Le couple avait trois enfants : une fille et deux garçons. C'était des gens férus de littérature, de théâtre, de musique et d'antiquités.
La maison grouillait de meubles estampillés et de bibelots de valeur. Dans une des chambres au premier étage, il y avait des vieilles commodes superposées. Dans le coin contre le mur, il y avait une quantité de vieilles toiles entassées. Chaque année, pendant l'été, ils organisaient une réception au Clos et dans le grand salon ils offraient une pièce de théâtre et de la musique à leurs invités. Madame Cavalière me disait de continuer ainsi à sa façon le salon littéraire de Madame Pellegrin qui au XIXe siècle y avait réuni Sainte-Beuve, George Sand, de Musset et de Vigny.
Elle y invitait quelques amis, des notables du pays et des voisins. Je me souviens qu'une année son fils jouait du violon accompagné au piano par sa sœur aînée. Le dernier des garçons était à Londres où il suivait des cours de dessin et de peinture à l'Académie Royale. Il venait souvent à Précy chez ses parents.
ville de delftLorsqu'on tourna le film " Pattes de velours " au Clos, avec Arditi, Bernadette Lafont et Michel Bouquet, on y a volé une commode estampillée qui avait appartenu à Madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV. On y déroba le même jour, une paire de flambeaux en argent massif et d'autres pièces d'argenterie ainsi que des bijoux de famille.
Madame Cavalière s'était, à un moment donné, amourachée de son palefrenier; un beau Brésilien qui s'occupait des chevaux de course et des quelques poneys qui broutaient dans le verger. On voyait de temps en temps Madame Cavalière se promener à cheval dans la commune et les environs. Elle avait belle allure avec son grand chapeau de paille paré d'un ruban bleu ciel. Elle était très poète et me racontait que la tradition veut qu'Alfred de Musset ait composé sa " Ballade à la lune " dans la chambre mansardée du Clos. Elle aimait les fleurs et avait fait restaurer la serre ce qui lui permettait d'inonder la propriété de toutes sortes de fleurs à chaque saison.
Avant de quitter Précy, elle m'a invité à déjeuner en tête à tête. Nous étions dans une petite pièce au fond du couloir au rez-de-chaussée, autour d'une petite table ronde soigneusement préparée avec une vaisselle de bleus de Delft, une argenterie armoriée, des roses et des chandelles. Elle voulait visiblement marquer cette dernière visite de son Curé. En effet ce jour-là, elle me confiait d'une voix mélancolique et parfois avec les larmes aux yeux, un certain nombre de ses souvenirs d'une vie bien remplie. Elle savait prendre de la hauteur, se lancer dans des considérations religieuses et philosophiques, parfois empreintes de nostalgie ou raisonner très froidement. C'était une grande dame !
le closQuand les Pastor ont acquis la maison du Clos, ils venaient de vendre leur maison d'Ermenonville où ils étaient restés très peu de temps à cause du bruit. Auparavant ils habitaient Montmartre à Paris où, jeune couple, ils essayaient de vivre de la peinture. Artiste peintre dans le genre Art Déco, n'ayant pas de succès, Monsieur Pastor s'est mis à travailler dans l'imprimerie d'art. Finalement patron d'une entreprise d'imprimerie d'art il a sympathisé avec beaucoup d'artistes peintres, graveurs, poètes et autres, et a eu l'occasion de connaître le succès et faire fortune.
Petitement logés à Paris, ils sont tombés amoureux de la demeure historique du Clos. " Nous étions comme ensorcelés, me disait-il, quand à notre première rencontre avec Madame Cavalière, nous apprenions l'histoire de cette maison. " Ils se sont installés au Clos dans l'intention d'y finir leurs jours. Ils ont entrepris beaucoup de travaux , restauré en particulier les boiseries à singeries du salon, rétabli la petite tour derrière la maison, restauré la fontaine du jardin, débouché des souterrains et embelli le parc devant la maison et autour de la fontaine d'un statuaire à la manière de Maillol que Monsieur Pastor avait lui-même sculpté prenant son épouse comme modèle. La maison regorgeait d'œuvres d'art. Il avait fabriqué des girouettes à la tête de Licorne, qu'il a fait placer à différents endroits sur les toitures de la maison. Même toutes les poignées des portes étaient des bronzes coulés puis ciselés par sa main.
Cheval de bronzeElles représentaient des corps de femmes nues, de jeunes garçons et des chats étirés. Il m'a fait plusieurs fois l'honneur d'assister à son travail en particulier lorsqu'il a copié le Cheval de Léonard de Vinci : un bronze qu'il affectionnait particulièrement. Il maniait le burin avec dextérité et regrettait que cette technique qui se perd ne s'enseigne pratiquement plus dans les académies, d'où la rareté la cherté des beaux bronzes.
Il travaillait également la terre glaise. Son atelier avec mezzanine à côté des boxes des chevaux, était une espèce de Caverne d'Ali Baba où se trouvaient d'innombrables épreuves de terre glaise enveloppées de linges mouillés, de plâtres entassés, cassés ou entiers, d'ébauches de futurs bronzes etc.. J'ai assisté à la création d'une terre cuite lorsqu'il fit une série de petites figurines représentant sa femme, nue, habillée ou drapée à la grecque, en toutes sortes de poses. Plus tard ces terres cuites trônaient dans le salon.
Jean CocteauMadame Pastor, ancienne institutrice, très écolo, vivait dans l'ombre et l'admiration de son mari. Elle aimait le parc et le jardin où elle passait des journées entières. Elle était persuadée que son potager était celui de l'ancien monastère Saint-Martin, disparu aux invasions normandes.
Le soir le couple se prélassait dans la pièce du haut dans le bâtiment Henri IV qu'ils avaient aménagé avec leurs rayons de bibliothèque où il y avait des volumes d'ouvrages d'art à profusion. Dans cette pièce chaleureuse et romantique, entourés de leurs souvenirs, ils lisaient, écoutaient de la musique ou faisaient du " farniente ". C'était des gens simples. Avide d'histoire, d'art et de belles Lettres, Monsieur Pastor avait par sa profession beaucoup de relations dans le monde des artistes. Il avait quelques dessins originaux que Cocteau lui avait offerts. J'ai rencontré chez eux Jean Marais, le compagnon de Cocteau, qu'ils avaient un jour invité avec d'autres amis potiers. Monsieur Pastor avait plusieurs poteries et plats faits par Jean Marais. Je me suis entretenu avec Jean Marais au sujet des dessins de Cocteau en particulier les deux dessins offerts au couple Pastor et qui ornaient les murs de leur salle de séjour. Jean Marais m'a interrogé à propos de la position de l'Église sur l'homosexualité. Il semblait tout à la fois étonné et satisfait des réponses que j'ai pu lui fournir.
Quand Monsieur et Madame Pastor ont vendu le Clos, ils sont partis à Uzès où ils ont acquis une maison du XVI° siècle, classée monument historique, au milieu de la ville. Cette fois-ci ils ont choisi " petit et sans trop de parc et jardins à entretenir. " Quand les nouveaux propriétaires, les Chambord, ont acquis la demeure historique, un vent nouveau a soufflé sur le domaine. C'était une période de feu d'artifice, de feu et de flammes, de feu de Bengale...
Jean MaraisMonsieur Chambord venait de refaire sa vie après un divorce pénible et voulait sans doute éblouir sa nouvelle conquête, belle comme une Vénus, elle-même également divorcée avec enfants. C'était une femme de goût, comblée de cadeaux plus somptueux les uns que les autres. Elle portait des bijoux exceptionnels de Bouchardon, Van Cleef et Melerio. Ses toilettes étaient griffées haute couture et ses manteaux de fourrure, vison, loutre et zibeline étaient d'une rare qualité et d'une coupe raffinée. Aux dires de son mari qui l'embrassait continuellement en présence des invités, elle méritait tout cela car elle était une travailleuse professionnelle acharnée et de bon conseil dans son magasin Leclerc. Conseillère municipale de Précy, elle a marqué son passage par son zèle auprès des personnes âgées ou isolées et par sa générosité pour les œuvres paroissiales. Quand on a apposé ou plutôt remis une plaque commémorative de demeure historique sur la façade du Clos, les Chambord ont organisé une belle réception dans le parc où se sont réunis le maire et ses conseillers, le curé, le notaire et quelques amis et voisins. On y a évoqué le souvenir de Sainte-Beuve, George Sand et de Musset. On y a déclamé la " Ballade à la lune " de Musset et le poème de Sainte-Beuve à Mademoiselle Pellegrin. Un buffet froid au champagne et aux jus de fruits a suivi les discours.
plaque le closLe départ des Chambord était dû à la fin du feu de Bengale. Une nouvelle maîtresse, jeune tigresse jalouse, a arraché l'amant à son ancienne compagne. C'était un vrai cauchemar qui a fait beaucoup de bruit. Rien ne lui a été épargné: coups et blessures, intervention de la gendarmerie, changement de serrures, effraction pour récupérer ses bijoux et ses fourrures, tentative d'étranglement et fuite en voiture...
Quand passe le démon de midi il n'y a souvent qu'un pas du trône à l'échafaud!

Complément ultérieur :
Après le départ des Chambord, le Clos fut vendu à M et Mme Hartmut Kiock. Lui est allemand, natif de Dusseldorf, orphelin de père à l’age de un an, puis orphelin de mère à 10 ans. Elevé par son oncle prêtre, official de l’évêché de Esse, il entre comme religieux dans un monastère. L’expérience fut négative. Par la suite, il se maria avec une protestante dont il divorça peu de temps après. Il travaille pour une société bancaire internationale et partage son temps entre la Chine, les USA, l’Allemagne et la France.
Elle est française, beaucoup plus jeune que lui. Catholique de famille très pratiquante. Elle a une tante religieuse.
Elle travaille comme responsable de « public relations » entre Paris, New-York et Londres.
Ils sont mariés civilement et n’ont pas d’enfant mais en voudraient bien.
Ils ont fait très peu de travaux dans la maison. Dans le parc, il y a quatre chevreuils en liberté. Ils s’y sont introduit depuis une brèche dans le mur extérieur de la propriété.
Cette année (2007), la maison vient d’être revendue à un avocat parisien, Henry Page.